20 février 2006

GENEALOGIE ARCHAMBEAUD - 3 - BOURBON

Auteur : Edouard Archambeaud vers 1970 - Les notes numérotées sont de l'auteur, les notes en petit caractère et en italique sont de moi.



A) Les Pionniers et l'orpheline

La colonisation de Bourbon date de la Compagnie des Indes Orientales créée par Colbert en 1664. Sans doute y avait-il eu, auparavant, quelques occupations. D'abord une prise de possession symbolique en 1642 simple relâche effectuée par le Saint-Louis avec Rigault.

Puis, en 1646, Pronis, de Fort-Dauphin, avait déporté 12 mutins à Mascarin (premier nom de l'île). Ceux-ci, vivant de leurs seules ressources, y étaient restés trois ans, et on les avait retrouvés, et rapatriés, " sains et gaillards ".

Le " St Georges ", en 1655, y amène encore un déporté et 12 compagnons qui se livrent à la culture (tabac, melons, légumes) et élèvent quelques vaches. Ils évacuent en 1657.

Enfin, en 1663 le "St Charles" dépose deux Français dont l'un, Louis Payen, était à Madagascar depuis 1656, accompagnés de 10 Malgaches. Seuls, ces derniers séjournaient dans l'île en juillet 1665 à I'arrivée d'un premier convoi de la Compagnie, la Flotte de Beausse, qui avait mis quatre mois à venir de Brest et qui comprenait quatre navires d'environ 250 tonneaux. Le commandant du " Taureau ", Kergadiou, mit à terre un commis de la Compagnie des Indes, nommé Regnault et, le nommant commandant de Bourbon, l'y laissa avec 18 à 20 compagnons. Payen et ses hommes repartirent avec la Flotte.

Ce n'est que deux ans plus tard qu'arriva le convoi suivant, la Flotte de Montdevergue composée de 10 navires. Partie de France en mars 1666, quinze jours trop tard pour les vents favorables, elle devait payer par onze mois de traversée et d'escales ce retard initial et n'arriva à Bourbon qu'en février 1667, après un séjour à Fort-Dauphin.

Par trois navires de cette Flotte, " St Jean ", " St Charles " et " Marie ", arrivèrent à Bourbon de 1667 à 1671, directement ou après un séjour à Fort-Dauphin 14 hommes et 5 femmes. Parmi eux se trouvaient quelques-uns uns de nos ascendants directs, aïeux des épouses de François Archambeaud et de son fils :

François Mussard, d'Argenteuil, maître menuisier au service de la Compagnie, né le 5 août 1642 ;
Jean Bellon, de Lyon ;
Hervé Dennemont, du diocèse de Coutances ;
Claude Mollet, dit " Labry ", de Roissy en France ;
Michel Esparron, dit "Latour", de St Chamond ;
Antoinette Arnaud, de Vigneray (Loire), qui épousa Jean Bellon au cours de la traversée ou à Fort-Dauphin ;
Léonarde Pillé, de Granville (Manche) qui épousa Dennemont ;
Jeanne de la Croix, née vers 1654 à Bainethun (Pas-de-Calais), femme de Claude Mollet qu'elle avait épousé au bourg de St Denis en Oléron le 15 janvier 1666 avant le départ de la Flotte ;
Marguerite Compiègne, née vers 1650 à Marck (Pas-de-Calais) d'une famille de cultivateurs picards. Le père, Jacques Compiègne, la mère Marguerite Monteny et leurs deux filles avaient fait la traversée ensemble et Marguerite Compiègne devait épouser François Mussard à Fort-Dauphin le 27 novembre 1668, date à laquelle le père Compiègne était déjà décédé.

Tous, sauf peut-être Hervé Dennemont, avaient passé onze mois ensemble à bord du " St Jean ". En 1670, arrive à Madagascar l'escadre de Perse (7 mois de navigation). Elle touche à Bourbon le 27 avril 1671 sous le commandement de l'amiral Blanquet de la Haye*, qui trouve sous les ordres de Regnault, une population de 50 personnes. L'escadre débarque encore une quinzaine d'hommes dont Louis Royer dit " l'Eveillé " (Paroisse St Paul, Paris) qui épousera une fille de Jean Bellon. Après diverses manifestations dont l'érection d'un monument, l'amiral quitte Bourbon pour les Indes, emmenant Regnault qu'il remplace par un autre commandant, La Hure, qui, à la suite d'exactions et de crimes divers, périra écartelé en Place de Grève par la Justice du Roi.

* : l'amiral Jacob Blanquet de la Haye, avant son départ de France, avait été fait " vice-roi " des Indes par Louis XIV. Pour aller prendre son poste il avait armé une flotte de douze navires dont neuf " armés en guerre ". Son arrivée à Bourbon et la destitution d'Etienne Regnault semblent avoir été très mal ressenties par la population de l'époque (source Daniel Vaxelaire, site reunion.rfo.fr).

Vers 1671, existe donc à Bourbon une petite colonie d'environ 70 pionniers venant de France à laquelle s'ajoutent quelques hommes et femmes de couleur venant de Madagascar. Dans ce groupe quatre ménages : Mussard, Bellon, Dennemont, Mollet, ainsi que Michel Esparon, non encore marié, ont travaillé pendant au moins trois ans avec Regnault, considéré comme le fondateur de la colonie.

En 1674 se place un évènement qui a marqué dans l'histoire de I'Océan Indien : le massacre par les Malgaches de la colonie de Fort-Dauphin, auquel est liée l'odyssée de la " Dunkerquoise ". Ce brick avait quitté La Rochelle le 29 mars 1673 ayant à bord, en particulier, un groupe de 16 jeunes filles placées sous la garde de la sœur St Joseph (Mlle de Laferrière) et d'un missionnaire. Envoyées à l'instigation de Colbert pour favoriser le peuplement de l'île, et volontaires pour se marier, elles venaient du couvent des orphelines de Paris. L'une d'elles nous intéresse particulièrement et son existence mouvementée fait partie de l'histoire de Bourbon.

Françoise Chatelain de Cressy (ou Clercy), née vers 1661 à Paris était nièce* de l'Archevêque de Reims (ou selon un autre auteur de l'Evêque d'Amiens) et pupille de Colbert. Agée de 12 ans au départ de la Dunkerquoise, eIle aurait épousé un Enseigne de la Compagnie, Jacques Lelièvre de Sauval, avec promesse de ne consommer le mariage que lorsqu'elle aurait 15 ans.

*: en fait l'origine de Françoise Chatelain est controversée. Une hypothèse faisait Françoise fille de Philippe Le Chatelain de Crecy et de Françoise de Launay, riche famille bourgeoise ou noble (de Launay) installée au château de Dangé dans le Maine et Loire. Les historiens planchent toujours sur cette origine qui n'est non seulement pas prouvée mais finalement peu crédible. Voir : http://www.delanux.com/CHATELAIN_CRESSY.HTML.

A son arrivée à Fort-Dauphin, en janvier 1674, le Commandant de la Dunkerquoise s'éternisa à un mauvais mouillage, si bien que son navire fut jeté à la côte par un coup de vent. Les orphelines sont sauvées, mais les voici en panne à terre. Là-dessus survient le massacre de Fort-Dauphin. Les orphelines survivantes se réfugièrent à Mozambique où quelques unes durent épouser des Portugais. Deux seulement, dont Françoise Chatelain arrivèrent à Bourbon.

Elle débarqua à Bourbon sur le "St Robert" en mai 1676. Avec ou sans Lelièvre de Sauval ? Dans certains documents, on dit qu'elle I'a épousé à Fort-Dauphin en 1674 et que son mari est mort peu après ses noces, avant ou pendant le massacre de Fort-Dauphin. Par ailleurs, dans un acte rédigé à Bourbon en 1676, elle est connue comme " femme de Jacques Lelièvre " et ce dernier figurerait aux actes jusqu'en 1678.

Toujours est-il que Lelièvre est mort au plus tard en 1679, puisque au cours de cette année, Françoise Chatelain épouse Michel Esparron (6ème ménage d'ancêtres). Leur fille aînée, Marie Esparron, née le 12 septembre 1680, devait épouser le forban Jacques Léger en 1700.

Michel Esparron, dit "Latour", venait de St Chamond. Différents auteurs le nomment Michel Esparon d'Acutias et le donnent comme gentilhomme, appartenant à une vieille famille provençale, alliée des Simiane (Esparon, Seigneur de St Julien et Esparon). Il devait avoir la main un peu dure car, en 1685, il périt tragiquement, assassiné par ses noirs.

Françoise Chatelain se remarie et épouse un commis de la Compagnie, Carré dit Talhoët qui était arrivé en même temps qu'elle sur le "St Robert" en 1676.

A la mort de Talhoët (avant 1694) elle épouse enfin Auguste Panon, arrivé en 1669 avec le Gouverneur de Vauboulon. A ce moment, dit un chroniqueur malveillant " elle était à la seconde vie de la Madeleine après avoir été à la première ". De ses trois derniers mariages elle eut 10 enfants et elle est à l'origine d'un grand nombre des familles de l'Ile. Elle mourut à 70 ans après une vie bien remplie.

Familles descendant de Françoise Chatelain : Léger, Léger des Sablons, Gonneau de Montbrun, Panon Desbassyns de Richemont, Hoareau, Sicre de Fontbrune, Vergoz, Barrois, d'Entremont de Sarrigny, Archambeaud, Fréon, Gruchet des Barrières, Langlois d'Erbreville, Chandamerle, Chiffoliau, Dub[ois], de Ricquebourg, Foucque, Barbot, Lecomte de Lisle, Chauvel, Lelièvre, Thuant de Villarmoy, de Lanux, de Parny, Le Breton*.


B) Le Galérien


La Colonie se développe et Monsieur de Vauboulon est nommé Gouverneur. Avec lui arrivent en 1689, sur le " St Jean Baptiste " venant de Port-Louis, un capucin le Père Hyacinthe de Kerguelen, de Quimper, un garde-magasins de la Compagnie, Michel Firelin, 22 ans, ainsi qu'un certain nombre de passagers parmi lesquels Elie Le Breton, 19 ans, de Locminé(Morbihan), Pierre Gonneau (25 ans) serrurier, de Nevers et Augustin Panon, 4ème mari de Françoise Chatelain.

Trois ans auparavant, à bord du St François d'Assise, était arrivé un nommé Robert Duhal, forgeron, né à Pleudihen et qui va jouer un rôle dans cette histoire (1).

(1) : Robert Duhal épouse en 1687 Thérèse Mollet,
Elie Le Breton épouse en 1693 Magdeleine Bellon et
Pierre Gonneau épouse en 1694 Marianne Mussard.

Le nouveau Gouverneur ne tarde pas à commettre des abus de pouvoir. Tyrannique, cruel et âpre au gain, il pressure la population et se fait verser des sommes d'argent. Ses exactions débutent en décembre 1689. Les habitants commencent par subir, puis, secrètement, quelques-uns uns d'entre eux, parmi lesquels Firelin, le Père de Kerguelen, Duhal, un certain Jacques Barrière, de Limoges et Julien Robert, poitevin, organisent un complot.

Le dimanche 19 novembre 1690, à la grand-messe, le père de Kerguelen en habits sacerdotaux attend le Gouverneur dont le fauteuil est au premier rang. Dès que Vauboulon a pris place, les conjurés se précipitent. Duhal lui crie : " Au nom du Roy, rendez votre épée " s'en empare et le ligote. Le curé et Firelin en tête, un cortège se forme qui va incarcérer le Gouverneur à la prison.

La suite fut plus grave car une cour martiale nommée par les habitants condamna à mort et fit fusiller peu après celui qui était considéré comme l'âme damnée du Gouverneur, un valet nommé " La citerne ". Quant au gouverneur lui-même, il mourut en prison en août 1692 et les morts de cette nature sont toujours quelque peu suspectes.

Firelin avait été nommé gouverneur par acclamation, et restitua les sommes extorquées - en particulier 75 livres à Fr. Mussard, 30 à Gilles Dennemont et Louis Royer, 36 à Antoine Bellon. Son règne dura peu et le pouvoir fut ensuite curieusement exercé par une sorte de directoire composé des six plus anciens habitants de St Paul, dont François Mussard. L'isolement relatif de la colonie et la lenteur des communications permirent à cette situation de durer pendant près de quatre ans. Ce n'est qu'en 1696 que le capitaine de vaisseau de Serquigny vint y mettre bon ordre au nom du Roy avec plusieurs navires. Au cours d'un séjour de deux mois et après enquête, il fit arrêter les principaux rebelles et les embarqua pour la France. Le "FIorissant" arrivé à Brest le 5 mars 1697 les conduisit ensuite à Lorient où ils furent incarcérés à la citadelle de Port-Louis.

Le procès eut lieu à Rennes et l'instruction fut menée en quelques semaines. Le dossier conservé aux Archives Départementales d'Ille et Vilaine contient les interrogatoires et les témoignages et la signature de Robert Duhal sur plusieurs pièces. Robert Duhal fit l'objet d'interventions favorables. Il avait beaucoup voyagé avant d'aller à Bourbon et parlait, paraît-il, l'arabe avec le Père Hyacinthe. Son père, un vieux paysan du village de la Villeléger en Pleudihen était mort à 84 ans quelques années avant. Un François Duhal était recteur de Pleudihen. Robert avait cinq frères, tous marins, dont un avait péri à la Hougue. Mais on ne plaisante pas avec l'autorité et le jugement rendu le 25 mai 1697 fut sévère.

Firelin, condamné à mort, fut pendu. Le Père de Kerguelen, Duhal et Barrière furent
condamnés aux galères à perpétuité, Jules Robert à 10 ans. En sa qualité de religieux, le capucin n'alla pas aux galères et finit ses jours dans un couvent. Par contre Duhal, qui avait alors 38 ans, passa 10 mois à Rennes et partit avec une chaîne de 8 galériens pour Saint-Malo où il travailla aux fortifications. De là, il fut un jour envoyé à la Bastille où il mourut le 20 mai 1714.

Sa femme, Thérèse Mollet, n'avait que 22 ans au moment du procès et se trouvait seule avec trois filles, dont la dernière était née après l'arrestation de son père. Elle continua à exploiter sa terre qui était assez vaste, tant sur les sables de St Paul que dans la montagne. Alors qu'elle n'avait que deux esclaves au moment de son mariage, elle en avait 5 en 1705 et 19 en 1719. Antoine Boucher qui écrivit vers 1710 un mémoire très malveillant sur les habitants de l'île, la considère comme laborieuse, très sage, (ce qui était rare) mais d'une grande avarice. Au point, affirme-t-il, d'avoir refusé 200 écus à deux religieux qui se faisaient fort, avec cette somme, de faire libérer son mari ! (1)

Sa fille aînée, Thérèse Duhal, épousera un marin forban des Charentes, André Rault. Leur descendance aboutira à Lucinde Léger *, ainsi que - fantaisie de la destinée - celle de Nicolas Vitry et de Marie Brasnu (2) qui vivaient paisiblement à Saint-Malo, à l'époque même ou notre galérien y traînait sa chaîne sur les remparts **.

(1) La calomnie est vraisemblable car Thérèse Mollet avait fait parvenir à son beau-frère Guillaume Duhal plusieurs lettres de change pour le rachat de son mari et fit une demande en 1715 pour les récupérer au cas où elles seraient inutiles (Barrassin, p. 226).
(2) Voir ci-après D) La Prospérité.

* : et par là, Robert Duhal le galérien est bien notre aïeul !
** : comprendre que Nicolas Vitry et Marie Brasnu sont également des ancêtres de Lucinde Léger.



C) Les Forbans


Une partie importante de la population de Bourbon de l'origine à 1715 (plus de 30%) a été constituée par des flibustiers ou forbans, capitaines ou simples marins, plus ou moins assagis.

En ce qui nous concerne, en dehors d'André Rault (de Muron, Charentes) déjà cité, nous descendons également de François Boucher, de Loches, venant d'un flibustier anglais en 1675 (il épousa l'année suivante une fille de Jean Bellon), de Jacques Léger, débarqué en 1699, enfin de Thomas Elgert ou Elgard, de Londres, venu en 1706 avec le même navire qu'André Rault.

Ces forbans paraissaient aller et venir assez librement. Les navires de guerre n'étaient pas nombreux dans les parages et la côte était peu gardée. A partir du passage de l'escadre de Serquigny, les habitants capables de porter les armes figuraient sur les rôles de deux compagnies de milice qui ne paraissait être mises sur pied que pour les grandes occasions les exercices ou les cérémonies. Vers 1710, le sieur Antoine Boucher, faisant fonction de gouverneur par intérim, était chargé de donner les ordres de milice, de faire mettre les habitants sous les armes après la messe et de faire faire les exercices militaires pour que l'île soit défendue en cas d'attaque.

Parmi ces forbans dont quelques gouttes de sang ont pu mettre dans nos veines le goût de l'aventure, il en est un qui a spécialement marqué.

Jacques Léger était né à Rouen (paroisse St Victor) en 1661 de Pierre Léger et de Catherine Lemonnier. L'acte de baptême lui donne comme parrain Maistre Jacques Paraf, procureur du Vicomté et comme marraine Louise Léger. Pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, il commandait un brigantin en course sur les côtes d'Amérique. A la paix de Ryswick (1697) il était devenu forban. Il séjourna à Madagascar et en 1699 débarqua à Bourbon d'un navire interlope anglais qui venait de Madagascar pour faire la traite.

En 1700, à 39 ans, il épouse Marie Esparon qui a 20 ans et s'installe dans une nouvelle vie. Il prospéra rapidement car il figure au recensement de 1705 avec une maison et une terre sur les sables de St Paul, une autre demeure à 3 lieues de là, aux Trois Bassins et une grande étendue de terrain dans la montagne qu'il n'arrive pas à cultiver, plus un canton de terre dans le quartier de St Pierre qui est cultivé par son beau-frère. Il a un troupeau de 220 bœufs, 150 cabris, 80 cochons et passa pour avoir été le créateur de la culture sur les hauteurs qui dominent St Paul.

Le chroniqueur Antoine Boucher a fait de lui un portrait coloré qu'il faut lire en tenant compte de l'état d'esprit du rédacteur. En éliminant les commérages, il semble que Léger ait été une forte personnalité, entreprenant, audacieux, débrouillard, réussissant ses affaires, mais buveur comme tous les autres, dur avec sa femme, joueur et sans scrupules. Il avait eu quelque instruction et prétendait avoir quelques connaissances en médecine et chirurgie. Ses interventions n'étaient pas toujours heureuses : en ouvrant un abcès à son ami François Boucher, il lui coupa une artère et il fallut couper la jambe.

Malgré ses autres défauts, il était " obéissant ". Mais après l'existence qu'il avait menée, la vie à terre lui pesait. Malgré sa réussite matérielle, malgré une famille de 8 enfants, il partit un jour clandestinement sur un navire de passage, le St Louis (en 1714). Il mourut moins de cinq ans après, on ne sait où.

La douce Marie Esparon, abandonnée à 34 ans avec une nombreuse famille, n'avait pas été heureuse. Elle ne se remaria point, mena une existence rangée, éleva ses enfants et fit valoir ses terres (en 1719 elle avait 26 esclaves). Elle mourut pieusement à 54 ans, après avoir reçu les sacrements d'extrême-onction, de pénitence et d'eucharistie.

Quelques années avant sa mort elle avait marié successivement son second fils Pierre-Hyacinthe et sa jeune fille Barbe.

Pierre Hyacinthe avait épousé en 1731 Marie Rault, fille du forban (1) et de Thérèse Duhal fille du galérien.

(1) : Le forban André Rault, un charentais, avait eu 14 enfants. Par extraordinaire on le dit " très honnête homme, vivant bien, obéissant, point ivrogne, faisant toute son attache à bien conduire son ménage et à faire valoir ses terres sur lesquelles, à l'aide de 8 noirs et 5 négresses (en 1710), il fait des récoItes considérables qui le font vivre agréablement et lui donnent un grand profit ". Grâce à son travail sa veuve qui mourut à 51 ans, avait 124 esclaves à la fin de sa vie.

Lucinde Léger, qui épousa Louis François Edouard Archambeaud en 1828 descend directement de Jacques Léger, André Rault, Thomas Elgard et François Boucher, tous quatre forbans.

Quant à Barbe Léger, elle épousa en 1733 J.B. François de Lanux, le conseiller de la Compagnie des Indes qui eut une carrière brillante et leur descendance aboutit au poète Leconte de Lisle.

Toutes les histoires de forbans ne se terminèrent d'ailleurs pas par des poésies. Témoin cet Olivier le Vasseur plus illustre qui, à la tête de deux vaisseaux captura en rade de Saint-Denis en 1721, à la barbe du Gouverneur, un vaisseau portugais de 70 canons et 800 hommes, ayant à bord un vice-Roi et un archevêque et qui, capturé par la suite, fut pendu en 1750 sur les lieux mêmes de son crime. Il eut été mieux inspiré d'y prendre femme.




D) Prospérité


Un mémoire de 1690 énumère les différentes productions de Bourbon : aloès, benjoin*, safran, coton, bois d'ébène, un peu de cire (juste pour les cierges, car les ruches sont dans la montagne), très peu de cuir (pour les souliers du gouverneur), du tabac de I'indigo et de la canne à sucre.

* : benjoin : substance aromatique et résineuse utilisée en parfumerie et en médecine et extraite du Styrax benjoin, arbre des indes (Petit Robert)

Celle-ci existait en effet dès le début et les habitants avaient vite appris à en tirer une boisson fermentée, le frangorin, ainsi qu'une eau de vie de sucre qui nuisait à la tranquillité des ménages. François Mussard, Louis Royer, sont cités comme tirant de bons revenus de cette industrie en tirant 500 écus par an.

Les premiers pionniers, sur lesquels s'étaient greffés par la suite des marins forbans ou de nouveaux venus, s'étaient embarqués soit comme artisans au service de la Compagnie, soit " pour être establis en colonies ".

Les artisans avaient signé un contrat de travail pour une durée déterminée. Au bout de huit ans ils recevaient le titre de " Maître de chefs d'œuvre ". Nourris et logés, ils devaient recevoir des appointements de l'ordre de 20 livres tournois par mois, aussi bien à terre qu'à la mer.

Malheureusement la Compagnie payait mal et souvent pas du tout, et les artisans furent obligés de s'adonner à la culture. Ce fut une des raisons de l'attribution de concessions gratuites au début, ou dont le prix était modique et qui comportaient le droit de défricher et d'exploiter en échange d'une redevance qui rappelait le droit foncier de la Compagnie, et du Roi.

De nombreux actes de concessions figurent aux archives. On relève ainsi en 1677 une vente à François Mussard, " habitant, demeurant en son habitation à St Denis, d'une habitation sise et située à St Paul joignant du côté de l'Ouest à la Chapelle et du côté de l'Est bornée de la rivière qui la sépare de l'habitation où demeure Bernica, appartenant au Roy ". Mussard reçoit une autre concession en 1686. Le 2 janvier 1690 le sieur de Vauboulon donne pour 3 ans à bail "l'habitation du Roy à Saint-Paul à François Mussard qui l'entretiendra, sèmera et plantera en bon père de famille, moyennant le partage des fruits par moitié.

En 1677 Claude Mollet vend pour 75 louis à deux autres colons une habitation située aux Butors. En 1686, Louis Royer achète pour 60 livres une habitation à Saint Paul. En 1687,Robert_Duhal achète à Anthelme Royer pour 90 livres une habitation sise à la ravine de Bitors.

En 1690, c'est Antoine Bellon qui reçoit une concession signée de Vauboulon et il en recevra une autre en 1637 dans le quartier de La Case des Flamants.

Louis Royer fait valoir, en 1693, qu'après un long séjour il a de la peine à subsister lui et sa famille à cause de l'ingratitude de la terre qui ne produit rien et qu'il a le chagrin de n'avoir aucune assurance de son habitation, ayant perdu son contrat. Le gouverneur Bastide, voulant pourvoir au besoin de l'exposant et le traitant favorablement pour le ramener au travail, lui accorde une concession.

Le gouverneur de la Cour* en accorde une en 1698, à Thérèse Duhal dont le mari est aux galères. Elie le Breton, qui avait acheté en 1695 une habitation à Antoine Bellon sur les Fonds de Bernica, reçoit en 1699 une place pour bâtir sur les sables et une concession en 1700. Jacques Léger, François Boucher, Thomas Elgard, André Rault en reçoivent à leur tour, ce dernier ayant une vaste propriété à la pointe des Galets.

* : Monsieur Jacques de la Cour de la Saulais, 9ème gouverneur de l'île Bourbon de 1699 à 1701. Protecteur de Pierre Parny.

Ce petit groupe de français, ayant rompu toute attache et n'ayant avec la métropole que des liaisons occasionnelles eut des débuts pénibles. On en juge par une supplique adressée le 16 septembre 1678 à Mgr de Colbert protecteur de l'île, "pour exposer le manque de commodités nécessaires tant pour l'entretien des familles que pour la culture de la terre". On réclame du fer, de l'acier des meubles avec un bon taillandier, des toiles bien fortes, avec des marmites et des poêles. La terre de ce pays n'étant pas propre à cet effet ce qui nous met dans la dernière misère, pour vivre honnestement plutôt qu'en sauvages. Le document est signé de François Mussard (42 ans) et de dix habitants parmi lesquels Jean Bellon et Hervé Dennemont.

Si l 'on confronte les différents textes qui subsistent de cette époque, on réalise mieux la vie que menèrent ces hommes. Les Gouverneurs de qualité très diverse se servaient avant leurs administrés et parfois - ce fut le cas de La Hure et de Vauboulon - les exploitaient et les spoliaient. Les marins de passage laissaient à terre des malades ou des gens douteux. Les noirs, menés durement, se révoltaient ou, fréquemment, s'évadaient : devenus marrons, ils tenaient la montagne et se vengeaient en brûlant des maisons ou en assassinant ceux qui s'égaraient. Heureusement les ressources naturelles étaient abondantes : d'énormes anguilles, beaucoup de tortues de mer, des cochons sauvages et du gibier facile à chasser, des légumes et des fruits naturels. Dans cette civilisation de chasse et de cueillette, les habitants avaient au moins l'indispensable.

Enfin, la douceur du climat et le charme du pays estompaient les difficultés si l'on en croit le récit idyllique d'un voyageur y faisant escale douze ans plus tard, vers 1710 :

" Le jour de Noël à Saint Paul nous assistâmes à une grand-messe où il y avait assez de peuple et nous y vîmes des femmes aussi blanches et d'un teint aussi frais qu'en France. Elles portent de petits corps et des jupes légères, coiffées à la française. Les plus riches ont de la dentelle et la plupart sont pieds nus. Les hommes et les femmes sont tout à fait sociaux et obligeants jusqu'à vous arrêter quand on passe devant leurs maisons pour vous inviter d'y rentrer et de vous rafraîchir. Les maisons sont en bois et, séparées les unes des autres. L'Isle est bonne et fort saine pour la vie en sorte que c'est avec quelque raison qu'on l'appelle Paradis terrestre. Mais elle est presque sans aucun commerce que celui du passage des navires français qui vont aux Indes. "

Car les relâches des navires français étaient rares. Pour annoncer leur arrivée, " on tirait des bordées ", ce signal permettant aux habitants d'amener à la côte des bœufs et du ravitaillement qui étaient leur seul commerce.

Cette économie primitive fut bouleversée en 1795 par l'arrivée d'un plant de café venant du Yémen. Des graines furent distribuées à un certain nombre d'habitants parmi lesquels Thérèse Mollet, Thomas Elgard, André Rault. La réussite est totale et la culture se répand, entraînant une expansion rapide et l'arrivée de nouvelles couches d'immigrants, en particulier de cadets de famille venus chercher fortune. Le café "Bourbon" est vendu dans le monde entier. Alors qu'en 1690 la population comprend 800 personnes (dont 110 enfants) et 108 esclaves, un siècle plus tard, à la veille de la Révolution, le recensement de 1787 enregistrait 7.833 blancs et plus de 37.000 esclaves noirs.

Parmi les familles qui nous intéressent, trois affirment particulièrement leur continuité au cours du 18ème siècle : les Mussard, les Léger et les Le Breton.

A l'arrivée du premier plant de café en 1715, le vieux François Mussard, un des plus anciens habitants, est mort depuis quatre ans à l'âge de 75 ans. Arrivé à Fort-Dauphin avec la Flotte de Montdevergue il y avait épousé le 2 janvier 1669 la jeune Marguerite Compiègne âgée de 18 ans. A partir de 1670, ils sont à Bourbon. En 1678, il signe la pétition à Colbert. Il prend la tête de la cabale menée contre le gouverneur Drouillard (1687) qui est obligé de tirer l'épée pour le faire mettre aux fers, mais injurié par Marguerite Compiègne et sous la pression des habitants, doit le remettre en liberté. Il joue un rôle certain dans l'affaire du Gouverneur de Vauboulon et fait partie du Directoire de 6 personnes qui administre l'île pendant quelques années. Mutin, buveur et violent, il n'en était pas moins, comme on disait alors, "bon chrétien", car - avec l'aide d'une subvention, il est vrai - il avait fait construire une chapelle, Notre Dame des Anges, à la limite de sa propriété. Sa fille, Marie-Anne, femme de Pierre Gonneau, Enseigne de quartier, avait été marraine de la cloche. A sa mort, en 1711, il avait une exploitation importante et 3.000 écus d'argent, mais n'avait que 9 esclaves car les autres s'étaient enfuis en lui volant son canot à 6 paires de rames. Sa femme lui survécut longtemps et ne mourut qu'en 1731 à 80 ans. Elle était, elle aussi travailleuse et dure et prude en vieillissant, certains prétendant que dans sa jeunesse, il n'en avait pas toujours été ainsi.


Une de leurs filles, Barbe Mussard, donne l'image de ce qu'était le mariage en ce début de colonisation : mariée à 12 ans, veuve à 14 ans et 7 mois, elle se remariait à moins de 15 ans à un Pierre Parny, venu dans l'île au service du gouverneur de La Cour.

Leur fils Henry Mussard (né en 1677) a épousé Marguerite Mollet sœur de Thérèse Duhal. Il est sage, bon charpentier, sait lire et écrire, n'est point ivrogne et ne manque pas d'esprit. Mais, comme les autres, il est dur pour les noirs qui ont tous fui sauf deux négresses. Marguerite, sa femme, est travailleuse et intelligente, et a une bonne conduite. Elle élève bien ses enfants, au nombre de douze, dont le dernier François, né en 1717, épouse Anne Elgard dont le père est un capitaine marin anglais débarqué d'un vaisseau forban en même temps qu'André Rault en 1706 et était devenu pilote du port de Saint Paul, participant en outre à certaines opérations de traite sur la côte de Madagascar.

François Mussard est un habitant considéré. Il est capitaine de la milice et son exploitation prospère. En 1776, âgé de 59 ans, il a 122 esclaves, 30.000 pieds de café, 150.000 de maïs, un troupeau de 150 bœufs et 60 cabris.

C'est à cette époque que le jeune Armand Buffard des Varennes arrive à Bourbon comme officier de marine marchande et épouse en 1778 Marie Antoinette Mussard qui devait être une riche héritière. François Mussard meurt en 1784. Anne Elgard continue à gérer les terres et à sa mort, à 75 ans, elle règne sur 164 esclaves.

Armand Buffard eut trois mariages. C'est du premier, avec Marie Antoinette Mussard, que naquit Marie Barbe, femme de François Archambeaud. Il épouse ensuite successivement une Robert (descendante d'un des condamnés du complot de Vauboulon) et Dauphine Mérigon de la Baume. De ses trois ménages il eut 7 enfants qui, sauf Marie Barbe, moururent tous avant d'avoir fait souche. Il mourut lui-même le 1er Ventôse, an 7, à 52 ans. François Archambeaud fut parrain d'un fils né quelques mois après sa mort.

Quant à Marie Barbe, mariée à 17 ans à François Archambeaud qui en avait 43, elle en eut 5 enfants. Elle eut la peine de perdre en quelques années son mari et ses trois filles, et, après s'être remariée, mourut à 49 ans, deux ans après le mariage de Louis-François-Edouard Archambeaud avec Lucinde Léger.

Nous avons déjà parlé des Léger. Le fils du forban, Pierre Hyacinthe, époux de Marie Rault, a une situation assez semblable à celle de son cousin François Mussard, plus jeune que lui de 7 ans.

En 1776 Pierre Hyacinthe a 67 ans, il est à la tête de 140 esclaves et possède 30.000 pieds de café, 30.000 de maïs, 30.000 de manioc, 30.000 de blé, 82 bœufs, 300 cabris. Son fils, Jean-Baptiste Eusèbe, dit " Duguay " a 29 ans et, lui et son fils Pierre Jean-Baptiste, épouseront des Le Breton. Le vieux Pierre Hyacinthe meurt sur sa terre à 89 ans. Et, chez les enfants, l'amélioration de la situation matérielle s'accompagne de quelques particules : on voit bourgeonner des Léger des Sablons et des Léger du Désert, des Léger du Corail, comme par ailleurs des Panon des Bassyns, des Gonneau de Montbrun et des Le Breton de Cartonet.

Une des filles de Pierre Hyacinthe, Marie-Thérèse Léger, avait épousé en 1756 Jean Charles Marie Sicre de Fontbrune, capitaine d'infanterie, chevalier de Saint Louis dont le père avait présenté à la Compagnie en 1751 un mémoire sur la situation économique de l'île. Une autre fille, Marie, avait épousé un Nicolas Barrois de Sarrigny. Les Barrois et les Fontbrune seront légion aux générations suivantes. Au 19ème siècle une Adèle Léger, sœur de Lucinde, épousa un Barrois de Sarrigny qui était son cousin, en eut 17 enfants et survécut à son mari.

Enfin, une sœur de Pierre Hyacinthe, Barbe Léger avait épousé, nous l'avons dit Jean Baptiste François de Lanux (né en 1701), conseiller de la Compagnie, venu à Bourbon après avoir eu des ennuis avec le Régent. Leur descendance aboutit à Elisée Anne Suzanne de Lanux née fin 1801 qui épousa en 1817 un jeune homme de St Servan nommé Charles Marie Lecomte de Lisle. Le poète Charles Marie René naquit à St Paul en 1818 et toute la famille revint en France à bord de la Victorine (de 242 tonneaux, armement Bonamy de Nantes), et débarqua à Mindin en juin 1822 après une traversée de 3 mois.

Parallèlement, Geneviève de Lanux, fille de Barbe Léger avait épousé en 1745 un officier Paul Desforges Parny. Leur descendance fut brillante et comprit deux militaires (dont un maréchal) et un académicien connu.

Jacques Léger n'avait passé à Bourbon que quinze années mais convenons qu'elles avaient été bien employées.

La troisième lignée est celle des Le Breton.

Guillaume Elie Le Breton, de Locminé (Morbihan) était le fils de noble homme Julien Le Breton noté à son acte de mariage " sieur des Marais, général et d'armes ", et de Louise Morice. Fils aîné d'une famille de six enfants, nous le trouvons à 19 ans avec une vingtaine de passagers, sur le Saint Jean Baptiste qui amenait en 1689 de Port Louis à Bourbon le Gouverneur de Vauboulon. Etait-il là par relation, avait-il le goût de l'aventure ou, mauvais sujet, l'avait-on envoyé aux colonies, nous ne le saurons jamais. La traversée dura 7 mois, qu'il passe en compagnie de Pierre Gonneau (de Nevers) et Augustin Panon (de Toulon), quatrième mari de Françoise Chastelain. Après son installation dans l'île, il épouse en 1693 une fille de Jean Bellon, Magdeleine. Il devient ainsi le beau-frère de François Bouché, ancien marin forban, d'Antoine Bellon et Suzanne Dennemont, de Guy Royer, mais aussi de Jacques Béda, fils d'un ministre hollandais qui avait été capturé par des forbans et s'était fixé à Bourbon. Il meurt à 35 ans, en 1705, laissant cinq enfants dont l'aîné Henry épouse Marianne Mussard, fille d'Henry Mussard et de Marguerite Mollet.

Un second Henry Le Breton naît ainsi en 1722.

En 1729, la population de Bourbon est décimée par une épidémie. Seule la famille Léger échappe au mal. Par contre sont emportés sept Mussard, Thomas Elgard, deux Rault, Catherine Bellon (veuve de Guy Royer), Anne Bellon veuve de Jacques Béda et trois Le Breton : Magdelaine Bellon veuve de Elie Le Breton, et deux de ses fils Julien et Henry morts tous les trois en moins de deux mois.

Le jeune Henry, âgé de 7 ans, vient ainsi de perdre son père. A 23 ans il se marie et épouse Marie Marguerite de Lanux, fille de Jean Baptiste François de Lanux dont nous avons déjà parlé, et de Barbe Léger. Il est alors le beau-frère de l'Enseigne Paul Desforges-Parny et l'oncle des trois illustres Parny. Mais il perd sa femme en 1759 et se remarie trois ans après sous le titre de Lieutenant de Bourgeoisie avec Marie-Anne Gonneau qui descend beaucoup plus simplement d'un artisan serrurier et d'un marin forban. Sa situation matérielle un peu moins importante que celle de Pierre Hyacinthe Léger et de François Mussard, est néanmoins confortable. Le recensement de 1787 lui attribue 115 esclaves entre Saint Paul et Saint Pierre. Il a alors 65 ans et 6 enfants. Sa fille Marie Anne Crescence avait épousé Jean Baptiste Eusèbe Léger Duguay en 1782. Il meurt en 1791 à 69 ans et sa femme lui survivra près de vingt ans.

Le fils de Marie Anne Crescence, Pierre Jean Baptiste Léger, épousera lui aussi une Le Breton, Marianne Laurencienne qui est d'ailleurs sa cousine germaine car son père Stanislas est le frère de Marie Anne Crescence. Ce Stanislas avait épousé une Elizabeth Scolastique Vitry, fille de Louis Vitry et de Marguerite Turpin.

Louis Vitry est un insulaire plus récent car il est né à Saint Malo en 1730 et il est venu se marier à Saint Pierre. Son père Nicolas Vitry, d'une famille de Marseille, était venu se marier à Saint Malo, en 1727, où il était marchand. Il avait épousé Marie Michelle Brasnu dont le père Nicolas Brasnu, sieur des Essarts, à Honfleur, s'était marié à Saint Malo, le 8 février 1691. Les Brasnu étaient de bonne famille, et les témoins au mariage sont le sieur de Haute Carrière, le sieur des Coutils, le sieur de la Jannays et autres.

Quant à Marguerite Turpin, elle descendait non pas de Denis Turpin, forban de Saint Martin de Ré, dont Antoine Boucher fait un portrait peu attrayant, mais de son homonyme François Turpin, marin de Tréguier qui figure pour la première fois au recensement de 1733. Sa mère était une Bellon, fille d'Antoine Bellon, et petite fille du couple Dennemont-Pillé, du diocèse de Coutances.

Coutances, St Malo, Tréguier pour les Vitry et les Turpin comma Bourg Charente et St Jean d'Angély pour les Archambeaud et les Buffard, les affinités régionales favorisent les mariages.

Au milieu de tous les Lebreton on trouve un apport important de la famille Bellon. Jean Bellon, de Lyon, avait eu six filles dont l'une était la femme d'Elie Le Breton. Une autre fille Gabrielle née en 1681 avait épousé à 15 ans François Bouché de Loches, marin forban. L'historiographe Antoine Boucher en trace un portrait vigoureux qui ne doit pas être entièrement faux même si le ton tient compte de la malveillance de l'auteur :

" François Bouché a pour épouse Gabrielle Bellon créole blanche qui est plutôt un diable incarné qu'une femme, sans éducation et sans dévotion, étant quelquefois des mois entiers sans venir à Saint-Paul pour y entendre la messe... (la suite à lire dans le texte original)...
...d'une cruauté pire que celle des barbares à l'égard des noirs. Elle en a fait mourir deux ou trois sous les coups et par la faim...
...Cette femme a encore le talent d'être d'une médisance diabolique, méchante, furieuse, emportée. La maîtresse absolue chez elle, et même de son mari qui n'oserait branler devant elle : avant même qu'il eut la jambe coupée, elle le fit sauter par la fenêtre le sabre à la main.
...Elle a 4 beaux enfants qu'elle élève comme des sauvages ou pour mieux dire comme des bêtes féroces.
...Par ailleurs très laborieuse et elle fait seule plus que n'en feraient 3 bons noirs. "

Espérons qu'elle n'intervient pas dans notre ascendance pour beaucoup plus que le 1/500ème qui lui revient !

Les recensements de 1776 et de 1787 permettent d'apprécier les situations relatives de ces familles, à la troisième génération à partir de leur installation dans l'île.

La plus grosse exploitation est celle d'un ancien gouverneur, Desforges-Boucher qui y a pris sa retraite.

Après lui, les grandes réussites sont un Panon devenu des Bassyns (344 esclaves) et un Gonneau devenu de Montbrun (234 esclaves).

Après ces deux vedettes, Pierre Hyacinthe Léger, les Lanux, les Guigné (descendance de Françoise Chastelain), la veuve de François Mussard, représentent le peloton de tête avec quelques familles d'importation plus récente.

Cette prospérité due à la culture du café, et qui se poursuivra grâce à l'extension de la culture de la canne à sucre au 19ème siècle, est due également, ne l'oublions pas, à l’esclavage. Les chiffres parlent par eux-mêmes : il y avait en effet :

108 noirs pour 200 blancs en 1690
311 noirs pour 423 blancs en 1705
37.265 noirs pour 7.833 blancs en 1787

L'émancipation des noirs ne figurait pas encore parmi les principes de ceux qui avaient assisté à la Révolution française. C'est ainsi que le 21 Nivôse, an X, le ministre de la Marine écrivait aux Gouverneurs de l'Ile de France et de La Réunion en leur annonçant la paix avec l'Angleterre, et en les félicitant de l'attachement que la population avait montré à la France malgré la rupture des communications pondant de longues années :
" Le gouvernement est extrêmement dans le sens des planteurs et il leur réitère la promesse solennelle de conserver le régime qui y a été si heureusement maintenu jusqu'à ce jour. "


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