20 février 2006

GENEALOGIE ARCHAMBEAUD - 3 - BOURBON

Auteur : Edouard Archambeaud vers 1970 - Les notes numérotées sont de l'auteur, les notes en petit caractère et en italique sont de moi.



A) Les Pionniers et l'orpheline

La colonisation de Bourbon date de la Compagnie des Indes Orientales créée par Colbert en 1664. Sans doute y avait-il eu, auparavant, quelques occupations. D'abord une prise de possession symbolique en 1642 simple relâche effectuée par le Saint-Louis avec Rigault.

Puis, en 1646, Pronis, de Fort-Dauphin, avait déporté 12 mutins à Mascarin (premier nom de l'île). Ceux-ci, vivant de leurs seules ressources, y étaient restés trois ans, et on les avait retrouvés, et rapatriés, " sains et gaillards ".

Le " St Georges ", en 1655, y amène encore un déporté et 12 compagnons qui se livrent à la culture (tabac, melons, légumes) et élèvent quelques vaches. Ils évacuent en 1657.

Enfin, en 1663 le "St Charles" dépose deux Français dont l'un, Louis Payen, était à Madagascar depuis 1656, accompagnés de 10 Malgaches. Seuls, ces derniers séjournaient dans l'île en juillet 1665 à I'arrivée d'un premier convoi de la Compagnie, la Flotte de Beausse, qui avait mis quatre mois à venir de Brest et qui comprenait quatre navires d'environ 250 tonneaux. Le commandant du " Taureau ", Kergadiou, mit à terre un commis de la Compagnie des Indes, nommé Regnault et, le nommant commandant de Bourbon, l'y laissa avec 18 à 20 compagnons. Payen et ses hommes repartirent avec la Flotte.

Ce n'est que deux ans plus tard qu'arriva le convoi suivant, la Flotte de Montdevergue composée de 10 navires. Partie de France en mars 1666, quinze jours trop tard pour les vents favorables, elle devait payer par onze mois de traversée et d'escales ce retard initial et n'arriva à Bourbon qu'en février 1667, après un séjour à Fort-Dauphin.

Par trois navires de cette Flotte, " St Jean ", " St Charles " et " Marie ", arrivèrent à Bourbon de 1667 à 1671, directement ou après un séjour à Fort-Dauphin 14 hommes et 5 femmes. Parmi eux se trouvaient quelques-uns uns de nos ascendants directs, aïeux des épouses de François Archambeaud et de son fils :

François Mussard, d'Argenteuil, maître menuisier au service de la Compagnie, né le 5 août 1642 ;
Jean Bellon, de Lyon ;
Hervé Dennemont, du diocèse de Coutances ;
Claude Mollet, dit " Labry ", de Roissy en France ;
Michel Esparron, dit "Latour", de St Chamond ;
Antoinette Arnaud, de Vigneray (Loire), qui épousa Jean Bellon au cours de la traversée ou à Fort-Dauphin ;
Léonarde Pillé, de Granville (Manche) qui épousa Dennemont ;
Jeanne de la Croix, née vers 1654 à Bainethun (Pas-de-Calais), femme de Claude Mollet qu'elle avait épousé au bourg de St Denis en Oléron le 15 janvier 1666 avant le départ de la Flotte ;
Marguerite Compiègne, née vers 1650 à Marck (Pas-de-Calais) d'une famille de cultivateurs picards. Le père, Jacques Compiègne, la mère Marguerite Monteny et leurs deux filles avaient fait la traversée ensemble et Marguerite Compiègne devait épouser François Mussard à Fort-Dauphin le 27 novembre 1668, date à laquelle le père Compiègne était déjà décédé.

Tous, sauf peut-être Hervé Dennemont, avaient passé onze mois ensemble à bord du " St Jean ". En 1670, arrive à Madagascar l'escadre de Perse (7 mois de navigation). Elle touche à Bourbon le 27 avril 1671 sous le commandement de l'amiral Blanquet de la Haye*, qui trouve sous les ordres de Regnault, une population de 50 personnes. L'escadre débarque encore une quinzaine d'hommes dont Louis Royer dit " l'Eveillé " (Paroisse St Paul, Paris) qui épousera une fille de Jean Bellon. Après diverses manifestations dont l'érection d'un monument, l'amiral quitte Bourbon pour les Indes, emmenant Regnault qu'il remplace par un autre commandant, La Hure, qui, à la suite d'exactions et de crimes divers, périra écartelé en Place de Grève par la Justice du Roi.

* : l'amiral Jacob Blanquet de la Haye, avant son départ de France, avait été fait " vice-roi " des Indes par Louis XIV. Pour aller prendre son poste il avait armé une flotte de douze navires dont neuf " armés en guerre ". Son arrivée à Bourbon et la destitution d'Etienne Regnault semblent avoir été très mal ressenties par la population de l'époque (source Daniel Vaxelaire, site reunion.rfo.fr).

Vers 1671, existe donc à Bourbon une petite colonie d'environ 70 pionniers venant de France à laquelle s'ajoutent quelques hommes et femmes de couleur venant de Madagascar. Dans ce groupe quatre ménages : Mussard, Bellon, Dennemont, Mollet, ainsi que Michel Esparon, non encore marié, ont travaillé pendant au moins trois ans avec Regnault, considéré comme le fondateur de la colonie.

En 1674 se place un évènement qui a marqué dans l'histoire de I'Océan Indien : le massacre par les Malgaches de la colonie de Fort-Dauphin, auquel est liée l'odyssée de la " Dunkerquoise ". Ce brick avait quitté La Rochelle le 29 mars 1673 ayant à bord, en particulier, un groupe de 16 jeunes filles placées sous la garde de la sœur St Joseph (Mlle de Laferrière) et d'un missionnaire. Envoyées à l'instigation de Colbert pour favoriser le peuplement de l'île, et volontaires pour se marier, elles venaient du couvent des orphelines de Paris. L'une d'elles nous intéresse particulièrement et son existence mouvementée fait partie de l'histoire de Bourbon.

Françoise Chatelain de Cressy (ou Clercy), née vers 1661 à Paris était nièce* de l'Archevêque de Reims (ou selon un autre auteur de l'Evêque d'Amiens) et pupille de Colbert. Agée de 12 ans au départ de la Dunkerquoise, eIle aurait épousé un Enseigne de la Compagnie, Jacques Lelièvre de Sauval, avec promesse de ne consommer le mariage que lorsqu'elle aurait 15 ans.

*: en fait l'origine de Françoise Chatelain est controversée. Une hypothèse faisait Françoise fille de Philippe Le Chatelain de Crecy et de Françoise de Launay, riche famille bourgeoise ou noble (de Launay) installée au château de Dangé dans le Maine et Loire. Les historiens planchent toujours sur cette origine qui n'est non seulement pas prouvée mais finalement peu crédible. Voir : http://www.delanux.com/CHATELAIN_CRESSY.HTML.

A son arrivée à Fort-Dauphin, en janvier 1674, le Commandant de la Dunkerquoise s'éternisa à un mauvais mouillage, si bien que son navire fut jeté à la côte par un coup de vent. Les orphelines sont sauvées, mais les voici en panne à terre. Là-dessus survient le massacre de Fort-Dauphin. Les orphelines survivantes se réfugièrent à Mozambique où quelques unes durent épouser des Portugais. Deux seulement, dont Françoise Chatelain arrivèrent à Bourbon.

Elle débarqua à Bourbon sur le "St Robert" en mai 1676. Avec ou sans Lelièvre de Sauval ? Dans certains documents, on dit qu'elle I'a épousé à Fort-Dauphin en 1674 et que son mari est mort peu après ses noces, avant ou pendant le massacre de Fort-Dauphin. Par ailleurs, dans un acte rédigé à Bourbon en 1676, elle est connue comme " femme de Jacques Lelièvre " et ce dernier figurerait aux actes jusqu'en 1678.

Toujours est-il que Lelièvre est mort au plus tard en 1679, puisque au cours de cette année, Françoise Chatelain épouse Michel Esparron (6ème ménage d'ancêtres). Leur fille aînée, Marie Esparron, née le 12 septembre 1680, devait épouser le forban Jacques Léger en 1700.

Michel Esparron, dit "Latour", venait de St Chamond. Différents auteurs le nomment Michel Esparon d'Acutias et le donnent comme gentilhomme, appartenant à une vieille famille provençale, alliée des Simiane (Esparon, Seigneur de St Julien et Esparon). Il devait avoir la main un peu dure car, en 1685, il périt tragiquement, assassiné par ses noirs.

Françoise Chatelain se remarie et épouse un commis de la Compagnie, Carré dit Talhoët qui était arrivé en même temps qu'elle sur le "St Robert" en 1676.

A la mort de Talhoët (avant 1694) elle épouse enfin Auguste Panon, arrivé en 1669 avec le Gouverneur de Vauboulon. A ce moment, dit un chroniqueur malveillant " elle était à la seconde vie de la Madeleine après avoir été à la première ". De ses trois derniers mariages elle eut 10 enfants et elle est à l'origine d'un grand nombre des familles de l'Ile. Elle mourut à 70 ans après une vie bien remplie.

Familles descendant de Françoise Chatelain : Léger, Léger des Sablons, Gonneau de Montbrun, Panon Desbassyns de Richemont, Hoareau, Sicre de Fontbrune, Vergoz, Barrois, d'Entremont de Sarrigny, Archambeaud, Fréon, Gruchet des Barrières, Langlois d'Erbreville, Chandamerle, Chiffoliau, Dub[ois], de Ricquebourg, Foucque, Barbot, Lecomte de Lisle, Chauvel, Lelièvre, Thuant de Villarmoy, de Lanux, de Parny, Le Breton*.


B) Le Galérien


La Colonie se développe et Monsieur de Vauboulon est nommé Gouverneur. Avec lui arrivent en 1689, sur le " St Jean Baptiste " venant de Port-Louis, un capucin le Père Hyacinthe de Kerguelen, de Quimper, un garde-magasins de la Compagnie, Michel Firelin, 22 ans, ainsi qu'un certain nombre de passagers parmi lesquels Elie Le Breton, 19 ans, de Locminé(Morbihan), Pierre Gonneau (25 ans) serrurier, de Nevers et Augustin Panon, 4ème mari de Françoise Chatelain.

Trois ans auparavant, à bord du St François d'Assise, était arrivé un nommé Robert Duhal, forgeron, né à Pleudihen et qui va jouer un rôle dans cette histoire (1).

(1) : Robert Duhal épouse en 1687 Thérèse Mollet,
Elie Le Breton épouse en 1693 Magdeleine Bellon et
Pierre Gonneau épouse en 1694 Marianne Mussard.

Le nouveau Gouverneur ne tarde pas à commettre des abus de pouvoir. Tyrannique, cruel et âpre au gain, il pressure la population et se fait verser des sommes d'argent. Ses exactions débutent en décembre 1689. Les habitants commencent par subir, puis, secrètement, quelques-uns uns d'entre eux, parmi lesquels Firelin, le Père de Kerguelen, Duhal, un certain Jacques Barrière, de Limoges et Julien Robert, poitevin, organisent un complot.

Le dimanche 19 novembre 1690, à la grand-messe, le père de Kerguelen en habits sacerdotaux attend le Gouverneur dont le fauteuil est au premier rang. Dès que Vauboulon a pris place, les conjurés se précipitent. Duhal lui crie : " Au nom du Roy, rendez votre épée " s'en empare et le ligote. Le curé et Firelin en tête, un cortège se forme qui va incarcérer le Gouverneur à la prison.

La suite fut plus grave car une cour martiale nommée par les habitants condamna à mort et fit fusiller peu après celui qui était considéré comme l'âme damnée du Gouverneur, un valet nommé " La citerne ". Quant au gouverneur lui-même, il mourut en prison en août 1692 et les morts de cette nature sont toujours quelque peu suspectes.

Firelin avait été nommé gouverneur par acclamation, et restitua les sommes extorquées - en particulier 75 livres à Fr. Mussard, 30 à Gilles Dennemont et Louis Royer, 36 à Antoine Bellon. Son règne dura peu et le pouvoir fut ensuite curieusement exercé par une sorte de directoire composé des six plus anciens habitants de St Paul, dont François Mussard. L'isolement relatif de la colonie et la lenteur des communications permirent à cette situation de durer pendant près de quatre ans. Ce n'est qu'en 1696 que le capitaine de vaisseau de Serquigny vint y mettre bon ordre au nom du Roy avec plusieurs navires. Au cours d'un séjour de deux mois et après enquête, il fit arrêter les principaux rebelles et les embarqua pour la France. Le "FIorissant" arrivé à Brest le 5 mars 1697 les conduisit ensuite à Lorient où ils furent incarcérés à la citadelle de Port-Louis.

Le procès eut lieu à Rennes et l'instruction fut menée en quelques semaines. Le dossier conservé aux Archives Départementales d'Ille et Vilaine contient les interrogatoires et les témoignages et la signature de Robert Duhal sur plusieurs pièces. Robert Duhal fit l'objet d'interventions favorables. Il avait beaucoup voyagé avant d'aller à Bourbon et parlait, paraît-il, l'arabe avec le Père Hyacinthe. Son père, un vieux paysan du village de la Villeléger en Pleudihen était mort à 84 ans quelques années avant. Un François Duhal était recteur de Pleudihen. Robert avait cinq frères, tous marins, dont un avait péri à la Hougue. Mais on ne plaisante pas avec l'autorité et le jugement rendu le 25 mai 1697 fut sévère.

Firelin, condamné à mort, fut pendu. Le Père de Kerguelen, Duhal et Barrière furent
condamnés aux galères à perpétuité, Jules Robert à 10 ans. En sa qualité de religieux, le capucin n'alla pas aux galères et finit ses jours dans un couvent. Par contre Duhal, qui avait alors 38 ans, passa 10 mois à Rennes et partit avec une chaîne de 8 galériens pour Saint-Malo où il travailla aux fortifications. De là, il fut un jour envoyé à la Bastille où il mourut le 20 mai 1714.

Sa femme, Thérèse Mollet, n'avait que 22 ans au moment du procès et se trouvait seule avec trois filles, dont la dernière était née après l'arrestation de son père. Elle continua à exploiter sa terre qui était assez vaste, tant sur les sables de St Paul que dans la montagne. Alors qu'elle n'avait que deux esclaves au moment de son mariage, elle en avait 5 en 1705 et 19 en 1719. Antoine Boucher qui écrivit vers 1710 un mémoire très malveillant sur les habitants de l'île, la considère comme laborieuse, très sage, (ce qui était rare) mais d'une grande avarice. Au point, affirme-t-il, d'avoir refusé 200 écus à deux religieux qui se faisaient fort, avec cette somme, de faire libérer son mari ! (1)

Sa fille aînée, Thérèse Duhal, épousera un marin forban des Charentes, André Rault. Leur descendance aboutira à Lucinde Léger *, ainsi que - fantaisie de la destinée - celle de Nicolas Vitry et de Marie Brasnu (2) qui vivaient paisiblement à Saint-Malo, à l'époque même ou notre galérien y traînait sa chaîne sur les remparts **.

(1) La calomnie est vraisemblable car Thérèse Mollet avait fait parvenir à son beau-frère Guillaume Duhal plusieurs lettres de change pour le rachat de son mari et fit une demande en 1715 pour les récupérer au cas où elles seraient inutiles (Barrassin, p. 226).
(2) Voir ci-après D) La Prospérité.

* : et par là, Robert Duhal le galérien est bien notre aïeul !
** : comprendre que Nicolas Vitry et Marie Brasnu sont également des ancêtres de Lucinde Léger.



C) Les Forbans


Une partie importante de la population de Bourbon de l'origine à 1715 (plus de 30%) a été constituée par des flibustiers ou forbans, capitaines ou simples marins, plus ou moins assagis.

En ce qui nous concerne, en dehors d'André Rault (de Muron, Charentes) déjà cité, nous descendons également de François Boucher, de Loches, venant d'un flibustier anglais en 1675 (il épousa l'année suivante une fille de Jean Bellon), de Jacques Léger, débarqué en 1699, enfin de Thomas Elgert ou Elgard, de Londres, venu en 1706 avec le même navire qu'André Rault.

Ces forbans paraissaient aller et venir assez librement. Les navires de guerre n'étaient pas nombreux dans les parages et la côte était peu gardée. A partir du passage de l'escadre de Serquigny, les habitants capables de porter les armes figuraient sur les rôles de deux compagnies de milice qui ne paraissait être mises sur pied que pour les grandes occasions les exercices ou les cérémonies. Vers 1710, le sieur Antoine Boucher, faisant fonction de gouverneur par intérim, était chargé de donner les ordres de milice, de faire mettre les habitants sous les armes après la messe et de faire faire les exercices militaires pour que l'île soit défendue en cas d'attaque.

Parmi ces forbans dont quelques gouttes de sang ont pu mettre dans nos veines le goût de l'aventure, il en est un qui a spécialement marqué.

Jacques Léger était né à Rouen (paroisse St Victor) en 1661 de Pierre Léger et de Catherine Lemonnier. L'acte de baptême lui donne comme parrain Maistre Jacques Paraf, procureur du Vicomté et comme marraine Louise Léger. Pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, il commandait un brigantin en course sur les côtes d'Amérique. A la paix de Ryswick (1697) il était devenu forban. Il séjourna à Madagascar et en 1699 débarqua à Bourbon d'un navire interlope anglais qui venait de Madagascar pour faire la traite.

En 1700, à 39 ans, il épouse Marie Esparon qui a 20 ans et s'installe dans une nouvelle vie. Il prospéra rapidement car il figure au recensement de 1705 avec une maison et une terre sur les sables de St Paul, une autre demeure à 3 lieues de là, aux Trois Bassins et une grande étendue de terrain dans la montagne qu'il n'arrive pas à cultiver, plus un canton de terre dans le quartier de St Pierre qui est cultivé par son beau-frère. Il a un troupeau de 220 bœufs, 150 cabris, 80 cochons et passa pour avoir été le créateur de la culture sur les hauteurs qui dominent St Paul.

Le chroniqueur Antoine Boucher a fait de lui un portrait coloré qu'il faut lire en tenant compte de l'état d'esprit du rédacteur. En éliminant les commérages, il semble que Léger ait été une forte personnalité, entreprenant, audacieux, débrouillard, réussissant ses affaires, mais buveur comme tous les autres, dur avec sa femme, joueur et sans scrupules. Il avait eu quelque instruction et prétendait avoir quelques connaissances en médecine et chirurgie. Ses interventions n'étaient pas toujours heureuses : en ouvrant un abcès à son ami François Boucher, il lui coupa une artère et il fallut couper la jambe.

Malgré ses autres défauts, il était " obéissant ". Mais après l'existence qu'il avait menée, la vie à terre lui pesait. Malgré sa réussite matérielle, malgré une famille de 8 enfants, il partit un jour clandestinement sur un navire de passage, le St Louis (en 1714). Il mourut moins de cinq ans après, on ne sait où.

La douce Marie Esparon, abandonnée à 34 ans avec une nombreuse famille, n'avait pas été heureuse. Elle ne se remaria point, mena une existence rangée, éleva ses enfants et fit valoir ses terres (en 1719 elle avait 26 esclaves). Elle mourut pieusement à 54 ans, après avoir reçu les sacrements d'extrême-onction, de pénitence et d'eucharistie.

Quelques années avant sa mort elle avait marié successivement son second fils Pierre-Hyacinthe et sa jeune fille Barbe.

Pierre Hyacinthe avait épousé en 1731 Marie Rault, fille du forban (1) et de Thérèse Duhal fille du galérien.

(1) : Le forban André Rault, un charentais, avait eu 14 enfants. Par extraordinaire on le dit " très honnête homme, vivant bien, obéissant, point ivrogne, faisant toute son attache à bien conduire son ménage et à faire valoir ses terres sur lesquelles, à l'aide de 8 noirs et 5 négresses (en 1710), il fait des récoItes considérables qui le font vivre agréablement et lui donnent un grand profit ". Grâce à son travail sa veuve qui mourut à 51 ans, avait 124 esclaves à la fin de sa vie.

Lucinde Léger, qui épousa Louis François Edouard Archambeaud en 1828 descend directement de Jacques Léger, André Rault, Thomas Elgard et François Boucher, tous quatre forbans.

Quant à Barbe Léger, elle épousa en 1733 J.B. François de Lanux, le conseiller de la Compagnie des Indes qui eut une carrière brillante et leur descendance aboutit au poète Leconte de Lisle.

Toutes les histoires de forbans ne se terminèrent d'ailleurs pas par des poésies. Témoin cet Olivier le Vasseur plus illustre qui, à la tête de deux vaisseaux captura en rade de Saint-Denis en 1721, à la barbe du Gouverneur, un vaisseau portugais de 70 canons et 800 hommes, ayant à bord un vice-Roi et un archevêque et qui, capturé par la suite, fut pendu en 1750 sur les lieux mêmes de son crime. Il eut été mieux inspiré d'y prendre femme.




D) Prospérité


Un mémoire de 1690 énumère les différentes productions de Bourbon : aloès, benjoin*, safran, coton, bois d'ébène, un peu de cire (juste pour les cierges, car les ruches sont dans la montagne), très peu de cuir (pour les souliers du gouverneur), du tabac de I'indigo et de la canne à sucre.

* : benjoin : substance aromatique et résineuse utilisée en parfumerie et en médecine et extraite du Styrax benjoin, arbre des indes (Petit Robert)

Celle-ci existait en effet dès le début et les habitants avaient vite appris à en tirer une boisson fermentée, le frangorin, ainsi qu'une eau de vie de sucre qui nuisait à la tranquillité des ménages. François Mussard, Louis Royer, sont cités comme tirant de bons revenus de cette industrie en tirant 500 écus par an.

Les premiers pionniers, sur lesquels s'étaient greffés par la suite des marins forbans ou de nouveaux venus, s'étaient embarqués soit comme artisans au service de la Compagnie, soit " pour être establis en colonies ".

Les artisans avaient signé un contrat de travail pour une durée déterminée. Au bout de huit ans ils recevaient le titre de " Maître de chefs d'œuvre ". Nourris et logés, ils devaient recevoir des appointements de l'ordre de 20 livres tournois par mois, aussi bien à terre qu'à la mer.

Malheureusement la Compagnie payait mal et souvent pas du tout, et les artisans furent obligés de s'adonner à la culture. Ce fut une des raisons de l'attribution de concessions gratuites au début, ou dont le prix était modique et qui comportaient le droit de défricher et d'exploiter en échange d'une redevance qui rappelait le droit foncier de la Compagnie, et du Roi.

De nombreux actes de concessions figurent aux archives. On relève ainsi en 1677 une vente à François Mussard, " habitant, demeurant en son habitation à St Denis, d'une habitation sise et située à St Paul joignant du côté de l'Ouest à la Chapelle et du côté de l'Est bornée de la rivière qui la sépare de l'habitation où demeure Bernica, appartenant au Roy ". Mussard reçoit une autre concession en 1686. Le 2 janvier 1690 le sieur de Vauboulon donne pour 3 ans à bail "l'habitation du Roy à Saint-Paul à François Mussard qui l'entretiendra, sèmera et plantera en bon père de famille, moyennant le partage des fruits par moitié.

En 1677 Claude Mollet vend pour 75 louis à deux autres colons une habitation située aux Butors. En 1686, Louis Royer achète pour 60 livres une habitation à Saint Paul. En 1687,Robert_Duhal achète à Anthelme Royer pour 90 livres une habitation sise à la ravine de Bitors.

En 1690, c'est Antoine Bellon qui reçoit une concession signée de Vauboulon et il en recevra une autre en 1637 dans le quartier de La Case des Flamants.

Louis Royer fait valoir, en 1693, qu'après un long séjour il a de la peine à subsister lui et sa famille à cause de l'ingratitude de la terre qui ne produit rien et qu'il a le chagrin de n'avoir aucune assurance de son habitation, ayant perdu son contrat. Le gouverneur Bastide, voulant pourvoir au besoin de l'exposant et le traitant favorablement pour le ramener au travail, lui accorde une concession.

Le gouverneur de la Cour* en accorde une en 1698, à Thérèse Duhal dont le mari est aux galères. Elie le Breton, qui avait acheté en 1695 une habitation à Antoine Bellon sur les Fonds de Bernica, reçoit en 1699 une place pour bâtir sur les sables et une concession en 1700. Jacques Léger, François Boucher, Thomas Elgard, André Rault en reçoivent à leur tour, ce dernier ayant une vaste propriété à la pointe des Galets.

* : Monsieur Jacques de la Cour de la Saulais, 9ème gouverneur de l'île Bourbon de 1699 à 1701. Protecteur de Pierre Parny.

Ce petit groupe de français, ayant rompu toute attache et n'ayant avec la métropole que des liaisons occasionnelles eut des débuts pénibles. On en juge par une supplique adressée le 16 septembre 1678 à Mgr de Colbert protecteur de l'île, "pour exposer le manque de commodités nécessaires tant pour l'entretien des familles que pour la culture de la terre". On réclame du fer, de l'acier des meubles avec un bon taillandier, des toiles bien fortes, avec des marmites et des poêles. La terre de ce pays n'étant pas propre à cet effet ce qui nous met dans la dernière misère, pour vivre honnestement plutôt qu'en sauvages. Le document est signé de François Mussard (42 ans) et de dix habitants parmi lesquels Jean Bellon et Hervé Dennemont.

Si l 'on confronte les différents textes qui subsistent de cette époque, on réalise mieux la vie que menèrent ces hommes. Les Gouverneurs de qualité très diverse se servaient avant leurs administrés et parfois - ce fut le cas de La Hure et de Vauboulon - les exploitaient et les spoliaient. Les marins de passage laissaient à terre des malades ou des gens douteux. Les noirs, menés durement, se révoltaient ou, fréquemment, s'évadaient : devenus marrons, ils tenaient la montagne et se vengeaient en brûlant des maisons ou en assassinant ceux qui s'égaraient. Heureusement les ressources naturelles étaient abondantes : d'énormes anguilles, beaucoup de tortues de mer, des cochons sauvages et du gibier facile à chasser, des légumes et des fruits naturels. Dans cette civilisation de chasse et de cueillette, les habitants avaient au moins l'indispensable.

Enfin, la douceur du climat et le charme du pays estompaient les difficultés si l'on en croit le récit idyllique d'un voyageur y faisant escale douze ans plus tard, vers 1710 :

" Le jour de Noël à Saint Paul nous assistâmes à une grand-messe où il y avait assez de peuple et nous y vîmes des femmes aussi blanches et d'un teint aussi frais qu'en France. Elles portent de petits corps et des jupes légères, coiffées à la française. Les plus riches ont de la dentelle et la plupart sont pieds nus. Les hommes et les femmes sont tout à fait sociaux et obligeants jusqu'à vous arrêter quand on passe devant leurs maisons pour vous inviter d'y rentrer et de vous rafraîchir. Les maisons sont en bois et, séparées les unes des autres. L'Isle est bonne et fort saine pour la vie en sorte que c'est avec quelque raison qu'on l'appelle Paradis terrestre. Mais elle est presque sans aucun commerce que celui du passage des navires français qui vont aux Indes. "

Car les relâches des navires français étaient rares. Pour annoncer leur arrivée, " on tirait des bordées ", ce signal permettant aux habitants d'amener à la côte des bœufs et du ravitaillement qui étaient leur seul commerce.

Cette économie primitive fut bouleversée en 1795 par l'arrivée d'un plant de café venant du Yémen. Des graines furent distribuées à un certain nombre d'habitants parmi lesquels Thérèse Mollet, Thomas Elgard, André Rault. La réussite est totale et la culture se répand, entraînant une expansion rapide et l'arrivée de nouvelles couches d'immigrants, en particulier de cadets de famille venus chercher fortune. Le café "Bourbon" est vendu dans le monde entier. Alors qu'en 1690 la population comprend 800 personnes (dont 110 enfants) et 108 esclaves, un siècle plus tard, à la veille de la Révolution, le recensement de 1787 enregistrait 7.833 blancs et plus de 37.000 esclaves noirs.

Parmi les familles qui nous intéressent, trois affirment particulièrement leur continuité au cours du 18ème siècle : les Mussard, les Léger et les Le Breton.

A l'arrivée du premier plant de café en 1715, le vieux François Mussard, un des plus anciens habitants, est mort depuis quatre ans à l'âge de 75 ans. Arrivé à Fort-Dauphin avec la Flotte de Montdevergue il y avait épousé le 2 janvier 1669 la jeune Marguerite Compiègne âgée de 18 ans. A partir de 1670, ils sont à Bourbon. En 1678, il signe la pétition à Colbert. Il prend la tête de la cabale menée contre le gouverneur Drouillard (1687) qui est obligé de tirer l'épée pour le faire mettre aux fers, mais injurié par Marguerite Compiègne et sous la pression des habitants, doit le remettre en liberté. Il joue un rôle certain dans l'affaire du Gouverneur de Vauboulon et fait partie du Directoire de 6 personnes qui administre l'île pendant quelques années. Mutin, buveur et violent, il n'en était pas moins, comme on disait alors, "bon chrétien", car - avec l'aide d'une subvention, il est vrai - il avait fait construire une chapelle, Notre Dame des Anges, à la limite de sa propriété. Sa fille, Marie-Anne, femme de Pierre Gonneau, Enseigne de quartier, avait été marraine de la cloche. A sa mort, en 1711, il avait une exploitation importante et 3.000 écus d'argent, mais n'avait que 9 esclaves car les autres s'étaient enfuis en lui volant son canot à 6 paires de rames. Sa femme lui survécut longtemps et ne mourut qu'en 1731 à 80 ans. Elle était, elle aussi travailleuse et dure et prude en vieillissant, certains prétendant que dans sa jeunesse, il n'en avait pas toujours été ainsi.


Une de leurs filles, Barbe Mussard, donne l'image de ce qu'était le mariage en ce début de colonisation : mariée à 12 ans, veuve à 14 ans et 7 mois, elle se remariait à moins de 15 ans à un Pierre Parny, venu dans l'île au service du gouverneur de La Cour.

Leur fils Henry Mussard (né en 1677) a épousé Marguerite Mollet sœur de Thérèse Duhal. Il est sage, bon charpentier, sait lire et écrire, n'est point ivrogne et ne manque pas d'esprit. Mais, comme les autres, il est dur pour les noirs qui ont tous fui sauf deux négresses. Marguerite, sa femme, est travailleuse et intelligente, et a une bonne conduite. Elle élève bien ses enfants, au nombre de douze, dont le dernier François, né en 1717, épouse Anne Elgard dont le père est un capitaine marin anglais débarqué d'un vaisseau forban en même temps qu'André Rault en 1706 et était devenu pilote du port de Saint Paul, participant en outre à certaines opérations de traite sur la côte de Madagascar.

François Mussard est un habitant considéré. Il est capitaine de la milice et son exploitation prospère. En 1776, âgé de 59 ans, il a 122 esclaves, 30.000 pieds de café, 150.000 de maïs, un troupeau de 150 bœufs et 60 cabris.

C'est à cette époque que le jeune Armand Buffard des Varennes arrive à Bourbon comme officier de marine marchande et épouse en 1778 Marie Antoinette Mussard qui devait être une riche héritière. François Mussard meurt en 1784. Anne Elgard continue à gérer les terres et à sa mort, à 75 ans, elle règne sur 164 esclaves.

Armand Buffard eut trois mariages. C'est du premier, avec Marie Antoinette Mussard, que naquit Marie Barbe, femme de François Archambeaud. Il épouse ensuite successivement une Robert (descendante d'un des condamnés du complot de Vauboulon) et Dauphine Mérigon de la Baume. De ses trois ménages il eut 7 enfants qui, sauf Marie Barbe, moururent tous avant d'avoir fait souche. Il mourut lui-même le 1er Ventôse, an 7, à 52 ans. François Archambeaud fut parrain d'un fils né quelques mois après sa mort.

Quant à Marie Barbe, mariée à 17 ans à François Archambeaud qui en avait 43, elle en eut 5 enfants. Elle eut la peine de perdre en quelques années son mari et ses trois filles, et, après s'être remariée, mourut à 49 ans, deux ans après le mariage de Louis-François-Edouard Archambeaud avec Lucinde Léger.

Nous avons déjà parlé des Léger. Le fils du forban, Pierre Hyacinthe, époux de Marie Rault, a une situation assez semblable à celle de son cousin François Mussard, plus jeune que lui de 7 ans.

En 1776 Pierre Hyacinthe a 67 ans, il est à la tête de 140 esclaves et possède 30.000 pieds de café, 30.000 de maïs, 30.000 de manioc, 30.000 de blé, 82 bœufs, 300 cabris. Son fils, Jean-Baptiste Eusèbe, dit " Duguay " a 29 ans et, lui et son fils Pierre Jean-Baptiste, épouseront des Le Breton. Le vieux Pierre Hyacinthe meurt sur sa terre à 89 ans. Et, chez les enfants, l'amélioration de la situation matérielle s'accompagne de quelques particules : on voit bourgeonner des Léger des Sablons et des Léger du Désert, des Léger du Corail, comme par ailleurs des Panon des Bassyns, des Gonneau de Montbrun et des Le Breton de Cartonet.

Une des filles de Pierre Hyacinthe, Marie-Thérèse Léger, avait épousé en 1756 Jean Charles Marie Sicre de Fontbrune, capitaine d'infanterie, chevalier de Saint Louis dont le père avait présenté à la Compagnie en 1751 un mémoire sur la situation économique de l'île. Une autre fille, Marie, avait épousé un Nicolas Barrois de Sarrigny. Les Barrois et les Fontbrune seront légion aux générations suivantes. Au 19ème siècle une Adèle Léger, sœur de Lucinde, épousa un Barrois de Sarrigny qui était son cousin, en eut 17 enfants et survécut à son mari.

Enfin, une sœur de Pierre Hyacinthe, Barbe Léger avait épousé, nous l'avons dit Jean Baptiste François de Lanux (né en 1701), conseiller de la Compagnie, venu à Bourbon après avoir eu des ennuis avec le Régent. Leur descendance aboutit à Elisée Anne Suzanne de Lanux née fin 1801 qui épousa en 1817 un jeune homme de St Servan nommé Charles Marie Lecomte de Lisle. Le poète Charles Marie René naquit à St Paul en 1818 et toute la famille revint en France à bord de la Victorine (de 242 tonneaux, armement Bonamy de Nantes), et débarqua à Mindin en juin 1822 après une traversée de 3 mois.

Parallèlement, Geneviève de Lanux, fille de Barbe Léger avait épousé en 1745 un officier Paul Desforges Parny. Leur descendance fut brillante et comprit deux militaires (dont un maréchal) et un académicien connu.

Jacques Léger n'avait passé à Bourbon que quinze années mais convenons qu'elles avaient été bien employées.

La troisième lignée est celle des Le Breton.

Guillaume Elie Le Breton, de Locminé (Morbihan) était le fils de noble homme Julien Le Breton noté à son acte de mariage " sieur des Marais, général et d'armes ", et de Louise Morice. Fils aîné d'une famille de six enfants, nous le trouvons à 19 ans avec une vingtaine de passagers, sur le Saint Jean Baptiste qui amenait en 1689 de Port Louis à Bourbon le Gouverneur de Vauboulon. Etait-il là par relation, avait-il le goût de l'aventure ou, mauvais sujet, l'avait-on envoyé aux colonies, nous ne le saurons jamais. La traversée dura 7 mois, qu'il passe en compagnie de Pierre Gonneau (de Nevers) et Augustin Panon (de Toulon), quatrième mari de Françoise Chastelain. Après son installation dans l'île, il épouse en 1693 une fille de Jean Bellon, Magdeleine. Il devient ainsi le beau-frère de François Bouché, ancien marin forban, d'Antoine Bellon et Suzanne Dennemont, de Guy Royer, mais aussi de Jacques Béda, fils d'un ministre hollandais qui avait été capturé par des forbans et s'était fixé à Bourbon. Il meurt à 35 ans, en 1705, laissant cinq enfants dont l'aîné Henry épouse Marianne Mussard, fille d'Henry Mussard et de Marguerite Mollet.

Un second Henry Le Breton naît ainsi en 1722.

En 1729, la population de Bourbon est décimée par une épidémie. Seule la famille Léger échappe au mal. Par contre sont emportés sept Mussard, Thomas Elgard, deux Rault, Catherine Bellon (veuve de Guy Royer), Anne Bellon veuve de Jacques Béda et trois Le Breton : Magdelaine Bellon veuve de Elie Le Breton, et deux de ses fils Julien et Henry morts tous les trois en moins de deux mois.

Le jeune Henry, âgé de 7 ans, vient ainsi de perdre son père. A 23 ans il se marie et épouse Marie Marguerite de Lanux, fille de Jean Baptiste François de Lanux dont nous avons déjà parlé, et de Barbe Léger. Il est alors le beau-frère de l'Enseigne Paul Desforges-Parny et l'oncle des trois illustres Parny. Mais il perd sa femme en 1759 et se remarie trois ans après sous le titre de Lieutenant de Bourgeoisie avec Marie-Anne Gonneau qui descend beaucoup plus simplement d'un artisan serrurier et d'un marin forban. Sa situation matérielle un peu moins importante que celle de Pierre Hyacinthe Léger et de François Mussard, est néanmoins confortable. Le recensement de 1787 lui attribue 115 esclaves entre Saint Paul et Saint Pierre. Il a alors 65 ans et 6 enfants. Sa fille Marie Anne Crescence avait épousé Jean Baptiste Eusèbe Léger Duguay en 1782. Il meurt en 1791 à 69 ans et sa femme lui survivra près de vingt ans.

Le fils de Marie Anne Crescence, Pierre Jean Baptiste Léger, épousera lui aussi une Le Breton, Marianne Laurencienne qui est d'ailleurs sa cousine germaine car son père Stanislas est le frère de Marie Anne Crescence. Ce Stanislas avait épousé une Elizabeth Scolastique Vitry, fille de Louis Vitry et de Marguerite Turpin.

Louis Vitry est un insulaire plus récent car il est né à Saint Malo en 1730 et il est venu se marier à Saint Pierre. Son père Nicolas Vitry, d'une famille de Marseille, était venu se marier à Saint Malo, en 1727, où il était marchand. Il avait épousé Marie Michelle Brasnu dont le père Nicolas Brasnu, sieur des Essarts, à Honfleur, s'était marié à Saint Malo, le 8 février 1691. Les Brasnu étaient de bonne famille, et les témoins au mariage sont le sieur de Haute Carrière, le sieur des Coutils, le sieur de la Jannays et autres.

Quant à Marguerite Turpin, elle descendait non pas de Denis Turpin, forban de Saint Martin de Ré, dont Antoine Boucher fait un portrait peu attrayant, mais de son homonyme François Turpin, marin de Tréguier qui figure pour la première fois au recensement de 1733. Sa mère était une Bellon, fille d'Antoine Bellon, et petite fille du couple Dennemont-Pillé, du diocèse de Coutances.

Coutances, St Malo, Tréguier pour les Vitry et les Turpin comma Bourg Charente et St Jean d'Angély pour les Archambeaud et les Buffard, les affinités régionales favorisent les mariages.

Au milieu de tous les Lebreton on trouve un apport important de la famille Bellon. Jean Bellon, de Lyon, avait eu six filles dont l'une était la femme d'Elie Le Breton. Une autre fille Gabrielle née en 1681 avait épousé à 15 ans François Bouché de Loches, marin forban. L'historiographe Antoine Boucher en trace un portrait vigoureux qui ne doit pas être entièrement faux même si le ton tient compte de la malveillance de l'auteur :

" François Bouché a pour épouse Gabrielle Bellon créole blanche qui est plutôt un diable incarné qu'une femme, sans éducation et sans dévotion, étant quelquefois des mois entiers sans venir à Saint-Paul pour y entendre la messe... (la suite à lire dans le texte original)...
...d'une cruauté pire que celle des barbares à l'égard des noirs. Elle en a fait mourir deux ou trois sous les coups et par la faim...
...Cette femme a encore le talent d'être d'une médisance diabolique, méchante, furieuse, emportée. La maîtresse absolue chez elle, et même de son mari qui n'oserait branler devant elle : avant même qu'il eut la jambe coupée, elle le fit sauter par la fenêtre le sabre à la main.
...Elle a 4 beaux enfants qu'elle élève comme des sauvages ou pour mieux dire comme des bêtes féroces.
...Par ailleurs très laborieuse et elle fait seule plus que n'en feraient 3 bons noirs. "

Espérons qu'elle n'intervient pas dans notre ascendance pour beaucoup plus que le 1/500ème qui lui revient !

Les recensements de 1776 et de 1787 permettent d'apprécier les situations relatives de ces familles, à la troisième génération à partir de leur installation dans l'île.

La plus grosse exploitation est celle d'un ancien gouverneur, Desforges-Boucher qui y a pris sa retraite.

Après lui, les grandes réussites sont un Panon devenu des Bassyns (344 esclaves) et un Gonneau devenu de Montbrun (234 esclaves).

Après ces deux vedettes, Pierre Hyacinthe Léger, les Lanux, les Guigné (descendance de Françoise Chastelain), la veuve de François Mussard, représentent le peloton de tête avec quelques familles d'importation plus récente.

Cette prospérité due à la culture du café, et qui se poursuivra grâce à l'extension de la culture de la canne à sucre au 19ème siècle, est due également, ne l'oublions pas, à l’esclavage. Les chiffres parlent par eux-mêmes : il y avait en effet :

108 noirs pour 200 blancs en 1690
311 noirs pour 423 blancs en 1705
37.265 noirs pour 7.833 blancs en 1787

L'émancipation des noirs ne figurait pas encore parmi les principes de ceux qui avaient assisté à la Révolution française. C'est ainsi que le 21 Nivôse, an X, le ministre de la Marine écrivait aux Gouverneurs de l'Ile de France et de La Réunion en leur annonçant la paix avec l'Angleterre, et en les félicitant de l'attachement que la population avait montré à la France malgré la rupture des communications pondant de longues années :
" Le gouvernement est extrêmement dans le sens des planteurs et il leur réitère la promesse solennelle de conserver le régime qui y a été si heureusement maintenu jusqu'à ce jour. "


15 février 2006

GENEALOGIE ARCHAMBEAUD - 2 - FRANCOIS ARCHAMBEAUD (1755-1812)


Auteur : Edouard Archambeaud vers 1970 - Les notes numérotées sont de l'auteur, les notes en petit caractère et en italique sont de moi.

De la jeunesse de François, né en 1755, nous ne savons que peu de choses. Il n'a que huit ans à la mort de son père. A neuf ans, il assiste avec son frère aîné Jean, qui est parrain, au baptême d'Anne Bouin, fille du Notaire. Il a 12 ans au mariage de sa sœur Marie avec Jean Sebillaud, marchand à Luchac (ce Jean Archambeaud épousera par la suite la sœur de Jean Sebillaud). La dernière trace que nous ayons de lui dans son village natal est sa signature sur le registre de la paroisse à l'âge de 19 ans (l774) à I'occasion d'un baptême.

La même année il commence sa vie d'homme et, suivant la Charente, entre comme élève à l'Hôpital de Rochefort où il reste cinq ans. En 1780, il embarque comme aide-chirurgien sur le vaisseau Le Guerrier.

Ce navire, de 71 canons, avait passé les années 1778 et 1779 sur les côtes d'Amérique, allant de New York à la Grenade et était rentré à Rochefort pour y désarmer en décembre 1779. Il y réarme peu après, en avril 1780, sous le commandement du Chevalier du Pavillon* qui venait d'être chef d'Etat-major de l'Orvilliers pendant son incertaine campagne de la Manche. De Rochefort, le Guerrier repart pour une campagne de onze mois dans les escadres métropolitaines - la guerre d'Amérique dure toujours - et désarme à nouveau en mars 1781.

* : Jean-François de Cheyron, chevalier du Pavillon, est l'inventeur de la communication entre navires par le biais des pavillons !

Le rôle d'équipage du Guerrier comprenait alors 720 hommes, dont 17 officiers majors, 5 gardes de la marine et 114 soldats du régiment du Médoc. Pour tout ce monde, un chirurgien et un aide-chirurgien. A son débarquement, François Archambeaud touche 526 livres, dont 150 lui avaient été avancées à l'embarquement. Ce qui, représente un traitement d'environ 50 livres par mois.

Ce premier embarquement n'avait été qu'un avant goût car le 3 mars 1781, François, suivant son chirurgien major, est muté sur le Sphinx qui arme à Brest sous le commandement du Capitaine de vaisseau Vicomte du Chilleau de Laroche.La campagne du Sphinx est mémorable à plus d'un titre car elle durera plus de trois ans et se déroulera sous le commandement direct du Bailli de Suffren*.

* : Pierre André de Suffren (1729 - 1788), fils du marquis de Saint Tropez, qui a donné son nom à l'avenue de Suffren à Paris, reste une " figure " de la marine française. Toutefois sa prestation dans l'océan indien est controversée (voir ci-dessous les mémoires de Saint Félix).

Partie de Brest le 22 mars 1781 pour les Indes, I'Escadre comprend 5 vaisseaux, 1 frégate et 1 corvette, Suffren ayant sa marque sur le Héros. Le 16 avril aux îles du Cap Vert, c'est le combat de la Praya au cours duquel le Sphinx (64 canons) est amené à remorquer le Héros durement malmené malgré le succès de son opération. Le 21 juin, Suffren est au Cap d'où sa présence écarte les Anglais. Puis il gagne l'IIe de France où, au début de 1782, la mort du Comte d'Orves le place comme commandant en chef à la tête d'une Escadre de 12 vaisseaux.

C'est alors la série des combats contre I'Escadre de I'Amiral Hughes sur la côte sud de l'Inde en 1782 et 1783 : Madras, Provedien, Négapatam (où le Sphinx combat, seul, le Monarca et le Superbe), Trinquemalé (où le Sphinx dégage et remorque le Héros en difficulté), Gondelour (où le Sphinx se trouve en tête de ligne). On peut imaginer l'existence du second chirurgien d'un vaisseau ayant plus de 700 hommes à bord, dans les rangs d'une escadre qui, à la paix de Versailles en 1733, avait perdu 1000 hommes au combat et 1400 par les maladies.

Note : voir le récit de ces combats sur http://home.tele2.fr/saintfelix/Notes_personnelles_de_Armand_de_Saint_Felix.html
(notes personnelles d'Armand de Saint Félix, commandant " Le Brillant " de l'escadre de Suffren).


Le Sphinx rentre en France à la paix et est désarmé à Rochefort le 7 mai 1784. François Archambeaud dut aller aussitôt à Bourg-Charente raconter ses campagnes. Il avait quelque chose à dire.

Nous le retrouvons à l'Ile-de-France en novembre 1786 en qualité de chirurgien-major de la corvette l'Aurore. Comme l'Aurore avait été l'objet d'une refonte à Toulon en 1785, on peut supposer que François Archambeaud avait embarqué sur le navire à son armement en France pour l'Océan Indien.

L'Aurore avait été construite au Havre sur les plans d'Ozanne l'aîné*. Armée en 1767, sa première mission avait été d'éprouver, en Manche et Mer du Nord, les montres de M. le Roi dont la maison existe toujours Faubourg Saint Honoré. Une très belle maquette de l'Aurore qui orne le hall d'entrée de la Bibliothèque Sainte Geneviève, et une gravure d'Ozanne I'aîné qui est la propriété de la famille Leroy, permettent d'apprécier I'allure de ce petit bâtiment qui, avec ses 66 pieds de long, avait en 1783 un rôle d'équipage de 280 hommes et un armement de 28 canons de 12.

*: plus d'infos sur Nicolas Ozanne, dit " l'aîné " :
http://www.historic-marine-france.com/gravures/ozanne-nicolas.htm

Après de nombreuses navigations et une refonte importante à Toulon, l'Aurore se trouve donc à l'Ile-de-France* lorsque le 18 novembre 1786 elle réarme sous les ordres de M. Pierre de Monneron qui a reçu la mission de conduire en France les Ambassadeurs que le Sultan Tippou Sahib désirait envoyer à la Cour de Versailles. L'histoire de cette ambassade exigerait un volume et sortirait de notre sujet. Nous n'en relaterons ici que ce qui peut aider à situer l'existence du chirurgien major de l'Aurore.

* : Ile-de-France est l'ancien nom de l'Ile Maurice, située au nord est de l'île de La Réunion (cette dernière étant nommée à l'époque île Bourbon). La capitale de l'Ile-de-France est Port Louis. D'abord portugaise, puis hollandaise, l'île a été française de 1715 à 1810 date à laquelle les Anglais s'en emparèrent.




" Planche frontispice représentant la frégate l'Aurore, en réalité une corvette légère, dessinée d'après nature par Nicolas Ozanne et gravée par Elizabeth Aussard. " Extraite du " Journal de voyage de Monsieur le marquis de Courtanvaux " et que l'on peut voir ici : http://perso.wanadoo.fr/vieillemarine/biblio/pages/Courtanvaux.htm

On apprend beaucoup sur l'Aurore en suivant le lien suivant : http://perso.wanadoo.fr/gerard.delacroix/aurore/aurore-index.htm. Les photos des maquettes au 1/36ème (sur plans de Gérard Delacroix publiés aux éditions Ancre) donnent une bonne idée de ce que pouvait être la vie à bord à près de 300 personnes pendant de longs mois de navigation...






Tippou Sultan, qui tenait la partie sud de l'Inde, était en guerre contre les Anglais. Il était en liaison avec le gouverneur de Pondichéry grâce auquel nous connaissons les effectifs de son armée (en 1786) : environ 150.000 hommes dont 55.000 cavaliers, 40 éléphants et 110 canons. Le sultan, malgré ses succès militaires, cherchait l'appui du Roi de France et souhaitait une alliance effective : c'est pour resserrer ses relations avec le Roi Louis XVI qu'il décida en 1786 d'envoyer une ambassade.

Dans l'entourage composite du Nabab, se trouvait un certain Pierre de Monneron, officier de marine portugais en congé, qui faisait du commerce avec le Nabab dont il était devenu l'ami, et lui fournissait des armes. C'est ainsi quo Monsieur de Souillac, Commandant la division Navale de l'océan Indien, fut amené à désigner ce Monneron, en lui donnant une commission de Lieutenant de vaisseau français, pour prendre le commandement de l'Aurore et assurer la mission prévue.

Monneron, qui se trouvait aux armées avec le Nabab l'été 1786, se rend à Pondichéry où il est le 8 septembre et prend le commandement de l'Aurore le 18 novembre au mouillage de Port-Louis.

Le 15 décembre, un cyclone met l'Aurore au sec. Le gouvernail est perdu. Il faut, "virer en quille" et réparer les hauts avant et arrière. Le séjour à l'Ile-de-France se prolonge ce qui ne devait pas déplaire à Monneron qui, entre sa prise de commandement et le cyclone, avait trouvé le temps de se marier et avait épousé le 25 novembre une jeune fille de 15 ans portant, comme la corvette, le gracieux nom d'Aurore. Ce n'est qu'en mars qu'a lieu le départ. Mais il y a un malentendu sur la destination et Monneron va porter un chargement d'armes à Mangalore, où il croit trouver les ambassadeurs, alors que ceux-ci sont en route pour Pondichéry. L'Aurore n'arrive dans ce port que le 5 mai. C'est trop tard pour partir pour le Cap à cause de la mousson et le Gouverneur de Pondichéry, qui a la mission sur les bras, se met en frais pour la distraire. Enfin l'appareillage a lieu le 22 juillet 1787.

L'ambassade comprend trois personnages de marque : Mahomet Dervish Khan, 40 ans, qui descend, parait-il, du prophète, Abbar Ali Khan, 70 ans, homme sage, cultivé, auteur de 6 volumes d'histoire et de poésie, Mahomet Ousman Khan, 50 ans.

Ils sont visiblement heureux de ce voyage qui leur permet d'échapper à l'autorité tyrannique de leur souverain et de profiter des multiples avantages de leur situation. Ils sont accompagnés de 2 écrivains, d'une garde de 8 hommes commandée par un officier et de nombreux serviteurs. L'effectif total indiqué par Monneron est de 45 personnes, à loger en plus de l'Etat-Major et de l'équipage dans les locaux exigus de l'Aurore.

Le Commandant avait l'ordre de relâcher à Bourbon et au Cap et interdiction (on ne sait pourquoi) d'aller à l'Ile-de-France. Mais dans l'Océan Indien une voie d'eau se déclare (10 pouces dans la cale) et les ferrures du gouvernail ne tiennent pas. Il faut aller réparer à Port-Louis. A la durée des travaux s'ajoute un retard dû au charme de l'île et de ses habitants, charme vivement ressenti par les Ambassadeurs et peut-être aussi par le Commandant. Toujours est-il que l'Aurore ne repart que le 7 décembre pour arriver le 3 janvier au Cap, où les Ambassadeurs ont à remettre des lettres du Sultan aux autorités hollandaises.

De fortes brises (il s'agit d'un bâtiment de 22 mètres de long dans le grand vent d'ouest) retardent le départ qui n'a lieu que le 11 février. La remontée de la côte d'Afrique est pénible. Monneron est préoccupé de la santé de ses passagers, réputés fragiles à la mer et aux changements de climat : il a déjà fait un voyage de ce genre et, sur 55 mahométans, un seul a survécu ! Il relâche à l'île Ascension pour prendre des tortues. Les Indiens sont malades et, au départ d'Ascension, un des Ambassadeurs a une colique bilieuse qui fait craindre de le perdre. Le problème de l'eau se pose : on avait 220 barriques en quittant le Cap, mais les Indiens en font une forte consommation. Malgré les dispositions prises au Cap pour améliorer la tenue au vent du navire (on a descendu les canons dans la cale), l'Aurore avance lentement dans des vents irréguliers. Elle finit par relâcher à Gorée* à court d'eau le 3 avril 1788.

*: île du Sénégal située en face de Dakar.


C'est de là que Monneron envoie au Ministre, le Comte de la Luzerne*, un rapport rendant compte de la cause de ses multiples retards et annonçant son arrivée... à Toulon, alors que tout était organisé à Brest ce qui va entraîner dans les deux ports une certaine agitation.

* : César-Henri de La Luzerne, comte de la Luzerne (1737-1799), est ministre de la marine et des colonies de 1787 à 1790.

A Gorée, Mahomet Dervish Khan est gravement malade, ce qui prolonge l'escale. Monneron appareille le 23 avril. Il relâche à Malaga le 30 mai pour acheter légumes et fruits car les Indiens souffrent du scorbut et il y a eu deux morts. Finalement, le 9 juin, à 4 heures de l'après-midi, l'Aurore mouille en rade de Toulon.

Salués par l'artillerie des forts à l'entrée de la rade et par les 4 frégates qui s'y trouvaient mouillées, l'Aurore jette l'ancre devant la Chaîne Vieille. L'Amiral d'Albert de Rions envoie un capitaine de vaisseau saluer les Ambassadeurs mais ce n'est que le lendemain qu'a lieu le débarquement, car les musulmans attendent la fin de leur " carême ".

* : c'est cet Amiral de Rions, commandant l'escadre de Toulon, qui fut arrêté à Toulon par les révolutionnaires en décembre 1789 puis libéré mais muté à Brest où l'accueil hostile qui lui fut réservé le contraignit à la démission. Ces épisodes sont à l'origine de l'émigration massive en 1790 des officiers de la Royale.

Les tambours battent dans toute la ville. Les navires ont leur pavois, les galères avec leurs grands pavillons bleus et blancs. Trois canots, commandés chacun par un capitaine de vaisseau, amènent l'Ambassade au Quai de I'Arsenal. Salués de 15 coups de canon, logés à l'Hôtel du Commandant sur le Champ de Bataille, les Ambassadeurs bénéficieront d'un programme exceptionnel - réceptions, théâtre, joutes sur le vieux port, visite de la fonderie royale, de la corde des manufactures, visite du vaisseau Le Triomphant de 80 canons - avant de partir pour Paris.

C'est tout un cortège de carrosses et de voitures de poste qui prend la route et, après un arrêt à Marseille, conduit l'Ambassade à Paris par Aix, Montélimar, Lyon, Tarare, Moulins, Nevers, Montargis. A I'arrivée, le 16 juillet, les Ambassadeurs sont logés dans un Hôtel réquisitionné et aménagé pour eux au n°15 de la rue Bergère.

Monsieur de Monneron les avait accompagnés depuis Toulon ainsi que François Archambeaud qu'ils avaient spécialement réclamé pour eux, le second chirurgien s'occupant de leur suite.

Au cours de leur séjour à Paris, qui durera environ 3 mois, les Ambassadeurs adressèrent à plusieurs reprises au Roi des demandes de récompenses pour ceux dont ils avaient eu à se louer. En particulier, ils appuyèrent avec insistance une demande de François Archambeaud qui les avait soignés pendant près d'un an, et qui demandait à son débarquement de I'Aurore la place de Chirurgien en Chef à Madagascar. Cette demande transmise par Monsieur de Monneron, est datée de Paris le 15 août 1738 et figure aux Archives Nationales.

Quant aux Ambassadeurs, après un séjour émaillé de fêtes et de réceptions ils repartirent de Brest pour les Indes le 10 novembre à bord de la Frégate La Thétis commandée par Monsieur de Mac Namara. Arrivés à Seringapatam en mai 1789, ils ne rapportaient au Nabab que de bonnes paroles et une livraison de mille fusils, et encoururent sa disgrâce. Ils eurent surtout le tort d'avoir vu la cour d'un souverain plus puissant que le Nabab et de trop parler de ce qu'ils avaient vu en France. Jaloux, le sultan fit mettre à mort deux d'entre eux, au cours d'une promenade, par les personnes de sa suite.

Le commandant de Mac Namara devait avoir, peu après, une fin aussi tragique. Devenu, à bord de la Thétis, commandant de la Division Navale de l'Océan Indien, il fut assassiné le 24 novembre 1790 dans les rues de Port Louis par la garnison révoltée.

Nous voici rendus à l'époque révolutionnaire et nous y perdons la trace de François Archambeaud. La recommandation des ambassadeurs pour obtenir la poste de Madagascar n'eut pas de suite ainsi qu'en témoigne une lettre de d'Entrecastreaux et Motais de Narbonne, datée de l'Ile-de-France le 19 mars 1739. Nous avons retrouvé les noms de certains des chirurgiens-majors des frégates qui ont fait partie de la station de l'Océan Indien, de 1789 à 1799, sous les ordres du Commandant de Rosily, du commandant de St Félix ou de l'Amiral Sarcey, mais pas le sien. Le poste de Pondichéry fut supprimé et son titulaire qui était le chirurgien de la Thétis, nommé à l'Ile-de-France. Il ne restait donc que Bourbon en poste à terre. Il aurait pu y retourner d'ailleurs en restant sur l'Aurore qui arma à nouveau à St Malo en mars 1789 (avec à bord le jeune Surcouf âgé de 15 ans) pour faire un voyage sur les Indes. Il est de fait qu'il repartit, probablement assez vite, pour l'Océan Indien et c'est à Bourbon que nous retrouvons notre homme le 20 nivôse an VI (19 janvier 1798) quand il épouse à St Paul, à 43 ans, Marie Barbe Buffard des Varennes.

Cette Marie Barbe était la fille d'Armand Buffard des Varennes, " capitaine de vaisseaux particuliers ", c'est-à-dire de marine marchande, fils de Jacques Armand Buffard des Varennes, receveur des tailles à St Jean d'Angely et de Françoise Barbaud. Les Buffard venaient de Fontenet, village voisin de St Jean d'Angély où le père Barbaud était procureur.

Sans beaucoup d'imagination on peut supposer que François Archambeaud arrivant à Bourbon sympathisa particulièrement avec une famille qui était, comme lui, des Charentes, et que ceci influa sur son mariage.

Mais, en épousant Marie Barbe Buffard, et alors que son fils épouserait plus tard Lucinde Léger, il faisait entrer dans notre famille l'histoire, pleine d'aventure, des premiers colonisateurs de Bourbon, au service de la Compagnie des Indes.

07 février 2006

GENEALOGIE ARCHAMBEAUD - 1 - BOURG-CHARENTE

Auteur : Edouard Archambeaud vers 1970 - Les notes numérotées sont de l'auteur, les notes en petit caractère et en italique sont de moi.

Bourg-Charente, petite agglomération de 700 habitants, située entre Cognac et Jarnac, respire encore le calme et la paix. Dominée sur la rive droite de la rivière par un château Renaissance et sur la rive gauche par une église romane du XIIème siècle, elle paraît avoir pour origine un mouillage - le vieux quartier s'appelle le Port - qui servait aux gabarres naviguant sur la Charente. Celle-ci a été autrefois un axe de communication vivant. Sous Colbert, Rochefort devint un grand port de guerre. A partir du XVIIlème siècle, époque de la création de la fonderie de Ruelle, les canons de marine descendaient la rivière sur des gabarres halées par des chevaux, jusqu'à Rochefort où les vaisseaux étaient armés ; ce trafic cessa après la guerre de 1914, alors que les navires de leur côté désertaient le port envasé de Rochefort. A Bourg-Charente aujourd'hui, le chemin de halage a disparu sous les herbes folles et la rivière a cessé d'être une source de vie.

C'est là que vivait, vers 1620 - 1630, un François Archambeaud, époux de Jeanne Couprie. Etait-il né dans ce village, on l'ignore, les actes paroissiaux ne remontant pas avant 1632. Il est certain que le nom est du pays. A 30 kms de là, à Jarnac Champagne, il existait à la même époque de très nombreux Archambaud, tous cultivateurs. Peut-on supposer que c'est l'un d'eux qui est venu se marier et se fixer à Bourg-Charente où la souche est unique?

Par ailleurs, sans que des liens de parenté puissent être établis, on trouve un certain nombre d'Archambaud dans les Charentes : un Archambeau, ancien garde-marine au Département de Rochefort en 1670, un Jean Archambaud, religionnaire fugitif de La Rochelle, emprisonné à Dieppe en 1692, tandis qu'il essayait de passer en Angleterre et dont les biens furent vendus à St Jean d'Angles, deux frères : Jean Archambaud, Maître serrurier et Pierre Archambaud, Maître canonnier royal du port de Rochefort vers 1760, un mousse : Jean Archambeau, mort à 12 ans sur la Frégate La Favorite à Saint-Domingue, sans parler du célèbre chanoine Itier Archambaud qui aida I'évêque Girard à construire la cathédrale d'Angoulême et dont le monogramme est gravé dans la pierre.

Si le nom est fréquent à cette époque, c'est qu'il a pour origine un prénom germanique (devenu Archibald en Angleterre, Arcimboldo en Italie), et qui signifie, mot à mot, " l'homme courageux (ou hardi) du terroir ". Répandu dans le Massif Central par les Germains (sans doute la descente sur Toulouse de l'armée de Clovis), il a été porté par de nombreuses familles, des plus illustres aux plus simples. En dehors des sires de Bourbon, fondateurs de Bourbon l'Archambault, des Comtes de Périgord et d'un certain nombre d'illustres prélats entre le 11ème et le 14ème siècle, dont les noms figurent dans les biographies, on trouve, à un niveau moins élevé, de nombreuses familles à porter ce nom sur le pourtour du Massif Central : en Bourbonnais, Nivernais, Berry, Poitou, Saintonge, Aquitaine et Périgord.

Bordeaux a connu sous ce nom, à tour de rôle, son 20ème archevêque, puis un martyr du protestantisme, né à Mazas, ami de Calvin, et brûlé à Paris. Il y existe encore une famille originaire du Périgord et avec laquelle, malgré une orthographe commune, aucun lien récent n'a pu être trouvé. L'orthographe ne s'est d'ailleurs fixée que tardivement. La nôtre est cependant constante depuis 1730 environ dans les actes de la paroisse.

François Archambeaud fit souche à Bourg-Charente. Son fils Jean, né avant 1650, était maître cordonnier et eut un fils Pierre ( mort en 1745), marchand, mari de Michelle Chapron. Ils eurent deux fils Jean et Pierre.

L'aîné Jean (1713-1763), après un premier mariage, épousa en 1745 Jeanne Tard, d'une famille de cultivateurs aisés, et en eut 4 fils et une fille. L'aîné Jean (1746-1809) est noté successivement comme aubergiste, marchand, agriculteur. En l'an VII, il signait comme agent municipal et fit quelques temps fonction de maire.

Le deuxième fils, Pierre né en 1747, dut se marier et mourir ailleurs car on ne le retrouve plus à Bourg-Charente.

Le troisième, Louis, mourut an bas âge.

Le quatrième, François, né en 1755, est notre aïeul.

Les registres paroissiaux, malgré la sécheresse des actes donnent un éclairage sur la physionomie de ce village.

La cure bat les records de longévité en la personne de l'Abbé Maillard, curé pendant 55 ans de 1732 à 1787, venant après les abbés de La Quintinie (1632) Derasson (1650), Jabouin (1688) et Dezon (1714).

La succession des actes fait apparaître la composition de la population : deux bourgeois dont un médecin : le sieur Bernard, un aubergiste, des laboureurs, quelques marchands, des gabarriers dont un est " gabarrier de la paroisse ", un tireur de scie, un tailleur, un marchand d'habits, parfois un militaire, le régisseur et l'escuyer du château.

Dans la campagne environnante, des hameaux encore nommés " chez le Tard ", "chez Chaperon", " chez Barraud ", " les Barbotins " sont aujourd'hui de grosses et riches métairies. On trouve tous ces noms dans notre généalogie et nos grands-mères étaient donc bien de cette terre.

Le pays a été très marqué par le protestantisme. Il y eut au moins 5 synodes à Jarnac de 1560 a 1681. A partir de la révocation de l'Edit de Nantes, les registres contiennent un certain nombre d'abjurations. On en note dans la famille Tard qui était certainement en grande partie protestante à en juger par les prénoms bibliques. Des Tard et des Faure étaient encore protestants à l'époque révolutionnaire. Par contre les Archambeaud étaient catholiques.

En 1714, Bourg-Charente eut la visite de Louis-Constant de Rohan, prince de Guéménée (les Rohan étaient seigneurs de Jarnac, et c'est Louis* de Chabot qui avait infligé le fameux coup à La Chataigneraie), venu parrainer deux jumeaux d'une famille Bonnet à laquelle il voulait du bien. Les deux marraines étaient -insigne honneur- l'une la tante et marraine de notre aïeule Jeanne Tard, l'autre Marie Barrau, tante de la première femme de Jean Archambeaud.

* : il s'agit en fait de Guy Chabot (1509-1584), baron de Jarnac, dit aussi " Chabot de Saint Gelais " du nom de sa mère, qui affronta le 10 juillet 1547 en duel François de Vivonne, seigneur de la Chasteigneraie. Ce dernier était reconnu comme l'un des meilleurs duellistes de son temps et avait été choisi par le dauphin futur Henri II pour le représenter à cette triste occasion. Malgré son infériorité " technique " et contre toute attente, Guy Chabot gagna le duel grâce à une " botte " apprise de son maître d'armes, le capitaine Caize, qui est restée dans la légende comme " le coup de Jarnac ". Guy Chabot fut par la suite sénéchal du Périgord et gouverneur de La Rochelle.
C'est l'arrière-arrière-petit-fils de Guy, Henri, qui épousa Marguerite de Rohan en 1645 et fonda la dynastie des Rohan-Chabot, princes de Léon. Le Louis qui visita Bourg-Charente en 1714 était sans doute le fils d'Henri.

Le château, du XVIème siècle, est habité en 1688 par un seigneur anglais dont l'écuyer, Pierre du Ville, est parrain d'une Marie Chapron, belle-sœur de Pierre Archambeaud, marchand. Par la suite il devient le siège de la seigneurie de Bourg-Charente. En 1767, le sire Pierre de Girac voit, par la faveur du Roi Louis XV, sa seigneurie érigée en marquisat. A cette occasion les "habitants et justiciables sont capitulairement assemblés" le 6 décembre 1767 devant la grande porte de l'église à la sortie de la messe par le notaire royal. Une vingtaine sont notés sur le procès-verbal. Parmi les signataires de l'acte, sous la signature du Sire de Girac, on relève les noms de Jean Archambeaud, marchand, de Pierre Archambeaud fils, François Foucaud, bourgeois, J.F. Fureaud, Instructeur de la jeunesse, Pierre Raby (1), meunier. L'assemblée, bon enfant, approuva l'arrêt et jugea que l'érection en marquisat était " convenable et avantageuse ".

(1) : François Raby est le parrain de François Archambeaud.

Nos anciens, vingt ans avant la Révolution, n'étaient donc pas tellement contestataires, à Bourg-Charente tout du moins, et la vieille monarchie y mettait des formes que les républiques ont oubliées.

A la même époque (1766) une Jeanne Rabby, de Bourg-Charente épousa un chirurgien de Segonzac nommé Masseteau. Le frère de la mariée, François Rabby est le parrain de François Archambeaud alors âgé de 11 ans. Est-il impossible d'imaginer que c'est ce contact avec un chirurgien qui incita François, cadet de la famille, à prendre ce métier quand il quitterait le pays ?

Jean Archambeaud (1713-1763) habitait sur le port près du pont actuel, et y avait son commerce. Lui et son frère Pierre paraissent relativement aisés. Leurs femmes, Jeanne Tard et Marie Faure, viennent de familles de paysans. Leurs signatures, souvent très bien écrites, figurent sur les actes à partir de 1675 et tout au long au XVIIIème siècle. Quatre membres de la famille sont enterrés dans l'église, dans les chapelles latérales : Pierre Archambeaud en 1745, Jean Archambeaud en 1763, Michelle Chapron, veuve de Jean*, en 1764, Marie Faure veuve de Pierre en 1769. Y furent également enterrés une Marie Perrier en 1690, la fille du meunier en 1737, Marie Bernard en 1737. Pour quelles raisons ? Les inhumations avaient lieu normalement dans l'ancien cimetière, autour de l'église. Des travaux récents ayant dégagé les abords de l'église, pour faire ressortir son architecture sur une pelouse, un ossuaire a été constitué plus à gauche, devant l'actuel presbytère. Entre l'église et cet ossuaire se trouvent donc les restes de tous nos ascendants, de 1650 à 1807.

* : Michelle Chapron était en fait veuve de Pierre et mère de Jean.

Vers 1755-60, époque de l'enfance de François, son père Jean achetait de temps à autre des parcelles de terre, tant pour arrondir son bien sur le port, que dans la campagne voisine. Quelques actes en subsistent aux archives.

Le village n'échappait pas aux commérages, voire à de petits scandales. Le frère aîné de François, Jean Archambeaud (né en 1746), avait pour femme Marguerite Sebilleaud. Sa sœur Marie Sebilleaud avait épousé Jacques de Larue, meunier, et devint veuve. Se conduisit-elle mal ? On l'ignore, mais on en parla... car le 20 janvier 1765 fut affichée à la porte de l'église le texte d'une transaction survenue entre elle et un certain Jean de Larue pour mettre fin au procès criminel qu'elle lui avait intenté en raison des injures graves, atrosses (sic) et diffamatoires répandues contre son honneur et sa réputation, et des vioIlances (sic) et voies de fait commises contre sa personne. Affichage sur 2 feuilles de 2 sols de papier timbré. Et quelques mois après, un autre Larue, meunier, était encore en procès contre Marie Sebilleaud.

A partir de 1783, le château est occupé par le Sire Cadenet* de Neuville, seigneur de Bourg, et intendant de la généralité d'Aquitaine. Pendant les guerres de la Révolution il devait servir de prison et les registres paroissiaux contiennent, vers l'an III, un certain nombre d'actes de décès de prisonniers, morts soit au château, soit à la maison d'arrêt : quelques Français, des Anglais et des noirs provenant de bâtiments capturés en course.

* : ou Le Camus de Neuville

Les Archambeaud paraissent avoir traversé sans dommage cette période. Les mariages et les naissances n'y succèdent normalement pour ceux qui sont restés au pays. En l'an VII, nous l'avons vu, Jean Archambeaud faisait fonction de maire. En 1807, il assistait à la mort de sa mère Jeanne Tard, le maire étant son cousin Jean Tard. Ses deux filles avaient épousé, l'une en 1790 le régisseur du château, Jean Dupuy, l'autre en 1793, le meunier Pierre Martin.

Au cimetière de Bourg-Charente, situé dans les collines au-dessus de l'église, on trouve encore les tombes d'une Jeanne Archambeaud (1810-1861) épouse de Henri Martin, meunier, et d'une Victoire Archambeaud (1823-1884) épouse de Pierre Porcheron. Ces deux femmes descendent vraisemblablement de Jean-Pierre Archambeaud fils de Pierre, le gabarrier. Des recherches plus approfondies permettraient sans doute de retrouver d'autres descendants des deux branches familiales de Bourg-Charente.